La Turquie au coeur d'une nouvelle géopolitique entre l'Europe et l'Asie
Recep Tayyip Erdogan a été réélu président en Turquie pour un troisième mandat, avec plus de 52% des voix et 20 ans passés au pouvoir. Erdogan reste à la tête du pays pour cinq nouvelles années, alors que les sondages le donnaient perdant avant le premier tour. Décryptage avec Ardavan Amir Arslani, avocat et auteur de La Turquie, nouveau califat ?, paru aux éditions de l'Archipel.
franceinfo : Ardavan Amir Aslani, votre première réaction face à ce résultat ?
Ardavan Amir Aslani : Je ne vais pas jouer le rôle de ceux qui se considèrent comme étant des "Madame Soleil" en puissance, mais je dirais que mon livre, qui s'appelle La Turquie, nouveau califat ?, aujourd'hui je l'intitulerai : La Turquie, nouveau califat !, avec un point d'exclamation, c'est inévitable pour moi.
Est-ce que c'est un mal nécessaire ?
C'est un mal nécessaire, parce qu'il faut que les Turcs aillent jusqu'au bout, de cette pensée extrémiste, le nationalisme, l'islamisme, qu'incarne Erdogan pour pouvoir s'en sortir, ils ne sont pas arrivés jusqu'au bout encore. Il faut qu'ils descendent encore plus bas dans leurs fantasmes imagés de ce que fut naguère l'Empire ottoman.
Comme dit Vladimir Fédorovski, il ne faut pas prendre ses fantasmes pour des réalités ?
Absolument, il a parfaitement raison. La réalité, c'est que ces élections-là n'étaient pas qu'à propos de l'économie. Erdogan a mobilisé et monopolisé tout le champ du débat, le nationalisme, l'islamisme, il ne restait que l'économie, et il s'est totalement désintéressé, et, on le connaît, l'opposition s'est engouffrée dans ce dossier-là, en laissant les questions les plus primordiales, les plus importantes dans les mains d’Erdogan. Et il en a usé et abusé.
Avec une inflation autour de 120% ?
L'inflation explose, le chômage explose, le pouvoir d'achat turc baisse, les investissements étrangers baissent. Tout cela, c’est vrai. Il y a eu la tragédie du tremblement de terre, c'est vrai, mais ça n'a pas suffi pour faire barrage à Erdogan. Il est passé, même dans les provinces qui ont connu cette tragédie abominable, il est quasiment arrivé en tête, dans l'ensemble des départements concernés.
La date importante, après ces élections, c'est octobre 2023, les 100 ans de la République de Mustafa Kemal Atatürk. Là, il faut qu'il fasse un coup politique ?
Vous avez raison. Erdogan s'est positionné en cette année du centenaire de la création de la République, en l'anti-Atatürk, donc il faut qu'il fasse quelque chose. Un feu d'artifice simple ne suffirait pas. Pour ma part, je pense qu'il peut faire un coup d'éclat en occupant quelques îles grecques, près de sa frontière. Il pourra se retirer de l'OTAN. J'ai eu cette idée, et il se trouve que je suis le seul à le penser…
Mais c'est une théorie qui court ?
Les faits semblent donner raison à cette thèse, ce serait un tremblement de terre...
Ce qui est important dans les félicitations, bien sûr, Vladimir Poutine a chaleureusement félicité Recep Tayyip Erdogan, et l'Egypte, le général Sissi, qui félicite Erdogan et qui veut améliorer immédiatement les relations diplomatiques avec la Turquie. Ça, c'est nouveau ?
Vous avez raison de souligner ce fait majeur. Sissi est arrivé au pouvoir, dans le cadre d'un coup d'État, financé par les Saoudiens et les Emiratis contre les Frères musulmans, et bien aujourd'hui, il tend la main, il court vers la réconciliation avec la Turquie, dirigée par un autre Frère musulman. C'est assez étonnant.
Le chancelier allemand félicite le président Recep Tayyip Erdogan, bien sûr par rapport à la communauté turque en Allemagne, on comprend pourquoi...
Au moins, les Allemands ont le sens de la realpolitik…
Et le président français qui félicite...
Et après avoir été insulté par Erdogan. Pourquoi ? Parce que je pense qu'il y a une attitude qui est celle de la capitulation : la Turquie fait peur, la Turquie, c'est soi-disant le pragmatisme qui amène le président turc à faire un chantage aux réfugiés…
La facture...
Bien sûr, envoyez la facture, et il y en a d'autres qui se réjouissent parce qu'ils se disent : "nous avons une bonne relation historique avec la Turquie, on va pouvoir s’entendre avec lui".
Et ceux qui veulent s'entendre, ceux qui veulent renforcer les liens : il y a le Pakistan, l'Afghanistan, l'Afrique du Sud, l'Irak, les pays du Golfe, et le Premier ministre indien Modi, ça fait beaucoup ?
Bien sûr, tous ces pays que vous avez cités sont contents de la réussite d’Erdogan. Déjà, l'Afrique du Sud ne lésine pas devant les moyens pour annoncer sa proximité avec Poutine. Les autres sont avec Erdogan, parce que, pour eux, Erdogan est une donne incontournable de la région.
Donc, nous sommes à une bascule...
Une bascule totale du paysage géopolitique de l'Europe et du Moyen Orient, qui va voir ces nations émergentes, profondément convaincues de leur destin, du sens de leur avenir, fiers de ce qu'ils étaient, ce qu'ils sont et ce qu'ils espèrent devenir, tenir tête face à cet Occident qui connaît malgré tout un réel de déclassement. Il faut que l'Occident arrête de s'endormir, et se réveille, parce que le temps n'est pas à son avantage.
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