Montant de la fraude sociale, contrôle du crédit d'impôt recherche... On a vérifié deux affirmations du patron du Medef
Patrick Martin, le président du Mouvement des entreprises de France, le Medef, était l'invité du 8h30 de franceinfo mardi 24 septembre. Le chef des entrepreneurs a répété qu'il était "prêt à discuter" d'une hausse des impôts pour les sociétés, alors que le Premier ministre Michel Barnier estime que la situation budgétaire de la France est "très grave". Mais le patron du Medef a donné plusieurs conditions. Il a notamment appelé l'État à mieux lutter contre la fraude sociale qui s'élève, selon lui, à "six à huit milliards d'euros par an". Il a aussi défendu l'efficacité du crédit d'impôt recherche, première dépense fiscale de France. Le Vrai ou Faux a vérifié ces deux affirmations.
🔴➡️ "Les entreprises françaises sont les plus taxées au monde. S’il doit y avoir une surtaxation des entreprises, il faut que ce soit très ciblé, il faut que ce soit raisonnable en montant et que ce soit exceptionnel : c'est-à-dire uniquement sur 2025", estime Patrick Martin. pic.twitter.com/lgZJ36RPhx
— franceinfo (@franceinfo) September 24, 2024
La fraude sociale estimée entre six et huit milliards d'euros
Interrogé sur ce que les entreprises pourraient faire pour aider l'économie française, Patrick Martin a renvoyé la balle à l'État. "La Cour des comptes a documenté que la fraude sociale coûtait six à huit milliards d'euros par an", a-t-il affirmé.
Et c'est en effet une estimation que l'on peut retrouver en faisant un calcul à partir du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de la Cour de comptes de 2023. Pour écrire ce rapport, la Cour a rassemblé les estimations des fraudes de la Caisse d'allocations familiales (CAF) qui s'élevaient de 2,5 à 3,2 milliards d'euros en 2020, de la Caisse primaire d'Assurance-maladie (CPAM) qui étaient de 3,8 à 4,5 milliards d'euros en 2018/2019 et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) de 0,1 à 0,4 milliard d'euros en 2020. Si on additionne tous ces montants, on trouve en effet entre 6,4 et 8,1 milliards d'euros par an.
Néanmoins la Cour des comptes n'additionne jamais elle-même tous ces montants dans son rapport. Elle explique d'ailleurs en longueur que ces estimations peuvent être améliorées. Par exemple, l'Assurance-maladie n'avait jamais estimé la fraude auparavant et commence seulement à investiguer. Elle n'a pu en réalité estimer les fraudes qui ne sont liées qu'à un seul tiers de ses prestations. L'estimation de 3,8 à 4,5 milliards est trouvée grâce à un calcul qui rapporte les fraudes réellement constatées sur un tiers des prestations à la totalité des prestations. La Cour conclut que "les méthodes employées par la Cnam pour estimer les fraudes commises par les professionnels de santé fournissent des ordres de grandeur plausibles" mais que "leur fiabilité est cependant affectée par le champ et les conditions de réalisation des contrôles de l’Assurance-maladie". De la même façon, la Cour des comptes pense que l'estimation des fraudes et des fautes par l'assurance vieillesse est "à fiabiliser".
Il est aussi possible de rapporter la fraude sociale à la fraude fiscale, qui est au moins dix fois plus importante. La fraude fiscale est pour l'instant communément estimée à 60, 80 ou 100 milliards d'euros par an. Là aussi, c'est une estimation qui comporte beaucoup de limites, la Cour des comptes a d'ailleurs déploré, dans un autre rapport, l'absence d'estimation rigoureuse de la fraude fiscale.
Crédit impôt recherche : difficile de "quantifier le nombre de contrôles"
Alors que le crédit d'impôt recherche (CIR) est souvent critiqué, car il s'agit de la plus grande dépense fiscale de France – plus de sept milliards d'euros de crédit d'impôt pour les entreprises qui investissent dans la recherche en 2024 – le patron du Medef en a défendu l'efficacité. "Je vous affirme, je vous laisse le soin de le vérifier, que c'est le dispositif d'aide le plus contrôlé en France. (…) Débrancher ce dispositif ou l'altérer pourrait avoir des conséquences dangereuses." Le Vrai ou Faux a vérifié et, en vérité, ce n'est pas possible de dire ça.
Un rapport d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale datant de 2021 explique précisément que la consultation des données de la Direction générale des finances publiques "ne permet pas à l'administration de quantifier le nombre de contrôles qui comportent l'examen d'un crédit d'impôt en faveur des dépenses de recherche". Tout ce qu'il est possible de dire à ce sujet est qu'en moyenne 1 000 contrôles fiscaux ont donné lieu à des rectifications liées au CIR chaque année entre 2016 et 2020.
Plus globalement, le CIR est un dispositif qui, il est vrai, fait régulièrement l'objet d'études et d'évaluations : par France Stratégie en 2019, par l'Institut des politiques publiques en 2021, par le Centre d'analyse économique en 2022... Sauf que ces évaluations tirent un bilan très relatif du CIR et en montrent à chaque fois les limites.
Le Conseil des prélèvements obligatoires, un organe de la Cour des comptes, a conclu dans son propre rapport à "une efficacité globale limitée du dispositif". Si le CIR a permis aux entreprises, notamment aux plus petites, de continuer à investir dans la recherche, leur niveau d'investissement a malgré tout été plus lent que celui des principaux pays de l'OCDE et la recherche n'en est pas devenue plus efficace. Par ailleurs, le CIR n'a pas empêché la perte d'attractivité de la France pour les multinationales étrangères.
"Toutes les évaluations du CIR conduites au cours de la dernière décennie ont souligné les limites du dispositif, sans pour autant que les conclusions en soient tirées pour le faire évoluer. En définitive, il ne suffit pas d’évaluer les dépenses fiscales, encore faut-il que ces évaluations soient suivies d’effets", tranche le Conseil des prélèvements obligatoires. "En définitive, les résultats nuancés du CIR plaident pour une réflexion sur la place qu’il occupe dans la politique française de soutien à l’innovation."
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