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Le vrai du faux. Un festival de contre-vérités lors du débat présidentiel

Chômage, économie, politique carcérale, Union européenne... Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont multiplié les approximations, exagérations et autres contre-vérités lors du débat d'entre-deux-tours.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Avalanche d'approximations et contre-vérités lors du débat d'entre-deux-tours ce mercredi 3 mai (MAXPPP)

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont débattu pendant deux heures et demie ce mercredi 3 mai. Un débat marqué par de très nombreuses fausses affirmations. Voici une petite sélection non exhaustive. 

Sur ce que coûte l'UE à la France

Marine Le Pen : 

"Ah mais je vais vous trouver tout de suite des économies. Regardez l'Union européenne, votre Union européenne, 9 milliards d'euros par an"

Faux.

La candidate du Front national parle de la contribution nette de la France au budget européen, c'est-à-dire du solde entre ce que l'on donne et l'on reçoit de Bruxelles. 

La France a contribué à hauteur de 19 milliards d'euros en 2015, d'après les dernières données communiquées par la Commission européenne. En retour, l'Union européenne a dépensé 14,5 milliards d'euros la même année en France. Le solde est donc de 4,5 milliards d'euros, selon les institutions européennes. 

Une autre méthode de calcul (qui, pour résumer, considère les droits de douane comme des contributions des différents Etats membres même si elles sont perçues automatiquement par Bruxelles) aboutit à une contribution nette de la France à 6,17 milliards d'euros pour cette année 2015. En tous les cas, Marine Le Pen exagère donc largement.

Sur les travailleurs détachés 

Marine Le Pen s'est aussi attaquée à la directive sur les travailleurs détachés : 

"Aujourd'hui, ce sont 300 à 500 000 emplois qui, en réalité, ne sont pas accessibles à nos compatriotes français parce qu'ils sont remplis par des travailleurs détachés."

Faux. 

D'abord un rappel : un travailleur détaché, c'est un salarié d'une entreprise européenne qui part travailler dans un autre pays pour une mission de deux ans maximum. Ce salarié doit être rémunéré à hauteur du revenu minimum du pays dans lequel il se rend mais les cotisations sociales sont celles du pays d'origine.

Ensuite sur le chiffre. D'après le dernier pointage de la Commission nationale de la luttre contre le travail illégal, il y a eu 285 000 salariés détachés en France pour l'année 2015. Marine Le Pen pousse ce chiffre jusqu'à 500.000... sans doute en ajoutant le nombre de travailleurs détachés non déclarés. Sauf qu'on ne connaît pas, par définition, leur nombre exact. 

Mais surtout, la présidente du Front national a tort d'affirmer qu'il s'agit d'emplois. De fait, les missions effectuées par les travailleurs détachés en France sont limitées dans le temps. Si on comptait 228 600 travailleurs détachés en France pour 2014, cela correspondait à 42 000 emplois en équivalent temps plein. 

Sur le chômage de masse dans les pays européens

Emmanuel Macron l'assure : 

"Nous sommes dans le chômage de masse depuis 30 ans. Nous sommes le seul pays d'Europe qui n'a pas réussi à endiguer cela."

Faux. 

Le taux de chômage en France était de 10,1% en mars dernier, d'après Eurostat. C'est deux points au-dessus de la moyenne européenne. Mais il y a pire. En se concentrant uniquement sur les grands pays européen, l'Espagne et l'Italie sont encore largement au-dessus : 18,2% et 11,7% de leur population active respective sont au chômage.

Sur la hausse des prix avec le passage à l'euro

Marine Le Pen : 

"L'euro a eu des conséquences très lourdes pour le pouvoir d'achat des Français. Sa mise en place a entraîné une augmentation spectaculaire des prix."

Faux. 

C'est un grand classique du Front national, démonté à plusieurs reprises comme ici ou . En fait, les prix à la consommation n'ont pas particulièrement augmenté avec le passage à la monnaie unique en 2002.

ndice annuel des prix à la consommation - Base 2015 (Insee)

Le sentiment de perte de pouvoir d'achat est pourtant réel. Mais il s'explique par le fait que les produits de consommation courante ont beaucoup augmenté (café, baguette) alors que les produits moins communs ont baissé (voiture, électroménager, etc.). 

Mais cela ne veut pas forcément dire que ces hausses ont grévé les budgets des Français. Car les salaires ont également augmenté ces dernières années. L'UFC Que choisir a, par exemple, calculé en 2012 qu'un salarié au SMIC doit travailller 20 secondes de moins pour s'acheter une baguette que 10 ans plus tôt.

Sur le CICE et les petites entreprises :

Marine Le Pen : 

"Le CICE, vous l'avez donné en priorité aux grands groupes."

Faux. 

Ce sont surtout les PME et les TPE qui ont le plus profité du crédit d'impôt compétitivité emploi mis en place par François Hollande.

"Au 31 juillet 2016, parmi les entreprises imposées à l’IS1 , 43 % de la créance sur les salaires de 2015 déjà enregistrée concernait des micro-entreprises ou des PME, 23 % des ETI et 34 % des grandes entreprises. Cette répartition est identique à celle observée pour la créance 2014", notait un rapport de France Stratégie publié en septembre 2016.

Sur les courtes peines de prison 

Emmanuel Macron : "Avec moi, toute peine prononcée sera exécutée. Et je reviendrai sur la loi qui a fait que pour toute les peines de moins de deux ans, il n'y a pas d'exécution de peine."

Marine Le Pen : Vous reviendrez sur la loi Taubira ?

Emmanuel Macron : J'y reviendrai totalement madame.

Triplement faux.

D'abord, contrairement à ce qu'affirme Emmanuel Macron, les peines de prison de moins de deux ans sont bel et bien effectuées aujourd'hui. Si l'on regarde les détenus condamnés par un tribunal correctionnel, les courtes peines représentent la majeur partie d'entre eux.

Ensuite, il existe bien une loi favorisant les aménagements pour les peines de moins de deux ans de prison... à condition de préciser que ce plafond tombe à 1 ans pour les récidivistes. Mais surtout, ce n'est pas un texte de Christiane Taubira mais de Rachida Dati, en 2009.

Ceci dit, Marine Le Pen fait sans doute référence à la contrainte pénale élaborée par l'ancienne ministre de gauche. Mais, là aussi, ce texte est rarement appliqué par les magistrats et se retrouve au centre de nombreux détournements et caricatures.

D'après le ministère de la Justice, "81% des condamnés écroués ne bénéficiaient d’aucun aménagement de peine (98% pour les personnes condamnées à des peines inférieures à 6 mois)" en 2011. Et par ailleurs, le nombre de personnes condamnées qui bénéficient d'un aménagement de peine est stable, voire en légère diminution ces dernières années. 

Enfin, ce n'est pas parce qu'une peine de prison est aménagée qu'elle n'est pas effectuée. Les bracelets électroniques et autres semi-liberté constituent également des réponses pénales.

Dernier point : les personnes libérées sans avoir bénéficié d'aménagement de peine sont re-condamnées dans 63% des cas dans les cinq ans après leur sortie. Le taux de récidive tombe à 55% pour ceux qui ont bénéficié d'un placement à l'extérieur, d'une semi-liberté ou d'un placement sous surveillance électronique. 

Sur la suppression de la double-peine 

Marine Le Pen  

"Il faut que les magistrats reçoivent un certain nombre d'instructions notamment sur le renvoi dans leur pays des étrangers condamnés. Parce que la double peine ça a été supprimé il y a un certain d'années."

Faux. 

La "double-peine" existe toujours en France. L'article 131-30 du Code pénal est très clair : "la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit". 

Cette double-peine a  par contre été modifiée en 2003, pour ajouter des exceptions aux étrangers potentiellement concernés.

D'après les derniers chiffres du ministère de la Justice, environ 1 900 personnes ont reçu une interdiction de territoire après avoir purgé leur peine en 2015.

Sur la liberté religieuse et la loi El Khomri

Marine Le Pen : 

"Avec la loi El Khomri, vous interdisez aux chefs d'entreprise de pouvoir éviter les revendications communautaristes et les exigences religieuses au sein de l'entreprise."

Faux. 

Voilà ce que dit la loi Travail sur la religion à l'intérieur des entreprises : 

"Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché."

Sauf que ce texte reprend simplement la jurisprudence qui l'a précédé. 

Si le principe de neutralité prime dans les entreprises publiques, c'est la liberté de conviction qui est privilégiée dans les entreprises privées. Ce qui ne veut pas dire qu'un salarié peut tout faire sur son lieu de travail.

L'Observatoire de la laïcité liste plusieurs motifs d'interdiction de signes religieux dans le secteur privé : contradiction avec l'image de l'entreprise, raison d'hygiène ou de sécurité.

Par exemple : un sikh ne pourra pas refuser de porter un casque de protection sur un chantier parce qu'il souhaite conserver son turban. Plus largement, l'appartenance religieuse ne peut pas être opposable à la mission pour laquelle un salarié a été embauché.

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