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Fraude fiscale : le "verrou de Bercy" est une spécificité française ?

Selon Nicolas Dupont-Aignan, la France est le seul pays au monde où un procureur a besoin de l'autorisation du ministre des Finances pour lancer une enquête pénale contre un fraudeur : c'est ce qu'on appelle le "verrou de Bercy". C'est vrai.
Article rédigé par Antoine Krempf
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (Nicolas Dupont-Aignan le 31 mars 2016. © Maxppp)

Alors que l'affaire des Panama papers a été dévoilée la semaine dernière, François Hollande a promis que “toutes les informations qui seront livrées donneront lieu à des enquêtes des services fiscaux et à des procédures judiciaires".

Une promesse qui a fait réagir de nombreux politiques, dont Nicolas Dupont-Aignan. Le président du mouvement Debout la France a en effet dénoncé vendredi la façon dont fonctionne le système judiciaire quand il s’agit de fraudes fiscales. “Nous sommes dans le seul pays au monde, où un procureur ne peut pas lancer une enquête pénale sur un fraudeur fiscal sans passer par l’autorisation du ministre des Finances. C’est ce qu’on appelle le verrou de Bercy.” Effectivement, il existe bien en France ce que l’on appelle le “verrou de Bercy” ou “monopole de Bercy”. Et c’est un cas unique au monde pour un pays démocratique.

Qu’est-ce que c’est que ce “verrou de Bercy” ?

C’est tout simplement la possibilité offerte aux fraudeurs fiscaux d’échapper à la justice, si le ministère des Finances le décide. Par exemple, s’il y a des révélations dans la presse, comme pour l’affaire des Panama Papers, et bien le parquet ne peut pas engager des poursuites pénales pour fraude fiscale. C'est Bercy qui décide, et le ministre des Finances en particulier. C’est-à-dire aujourd’hui Michel Sapin.

Le ministre n'est pas complètement seul. Il existe une Commission des infractions fiscales, la CIF. Elle est composée de huit magistrats qui examinent chaque cas envoyés par Bercy. Mais dans les faits, elle suit les recommandations du ministère. Et surtout, comme lui, elle n'a pas à motiver ses avis : qu'elle dise oui ou non à des poursuites, elle n'a aucune justification à apporter.

Cette spécificité française pose un vrai problème de séparation des pouvoirs. C’était notamment le cas avec l’affaire Jérôme Cahuzac, après les révélations de Médiapart sur ses comptes cachés en Suisse et à Singapour. Il était alors ministre du Budget et des Finances. Autrement dit, s’il n’avait pas démissionné, c’est lui qui aurait dû dire si, oui ou non, des poursuites pénales pouvaient être engagées... contre lui-même. C’est l’exemple parfait des limites de ce “verrou de Bercy”.

A-t-il déjà été envisagé de le supprimer ?

Il y a eu des tentatives de suppression de ce verrou et notamment après l’affaire Cahuzac en 2013. Au mois d’avril, après la démission de son ministre, François Hollande dévoile une série de mesures sur la transparence de la vie publique et sur la lutte contre les paradis fiscaux et la grande délinquance économique et financière. Parmi ses mesures, il y a notamment la création d’une haute autorité indépendante : le parquet national financier.

Sauf que, le “verrou de Bercy”, lui, n’est pas supprimé. Et ce malgré une tribune signée par des magistrats et des ONG dans Libération, malgré les demandes d’amendements de plusieurs parlementaires lors du vote de la loi sur la fraude fiscale. Bercy tient à son monopole.

Pourquoi ce refus de supprimer ce verrou de Bercy ? Parce que ce verrou est en fait un levier. Un moyen de pression qui permet à Bercy de menacer les fraudeurs en leur disant : soit vous acceptez le redressement et vous payez, soit on autorise les poursuites pénales.

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