Le sens des mots. Harcèlement, d'abord moqueur, aujourd'hui violent
Tout l'été sur franceinfo, Marina Cabiten et la sémiologue Mariette Darrigrand s’arrêtent sur les termes qui ont marqué l’actualité de l’année écoulée. Aujourd'hui, le mot harcèlement.
Cette année a témoigné de la libération de la parole au sujet du harcèlement visant les femmes. Celle d’Adèle Haenel, de plusieurs femmes dans l’affaire Matzneff ou encore récemment dans le monde du patinage artistique.
franceinfo : Mariette Darrigrand, vous êtes sémiologue spécialisée dans l'analyse du discours médiatique et dirigeante du cabinet Des faits et des signes. Harcèlement, un terme de droit à l’origine, un délit. Mais c’est un très vieux mot qui au 15e siècle était rieur. Il désignait des piques de langage, des moqueries.
Mariette Darrigrand : Oui, dans Gargantua par exemple, Rabelais explique que certains membres du clergé ou de la Sorbonne peuvent être “harcelés”, critiqués avec humour car ils ne sont que des singes répétant sans réfléchir, soit pour Rabelais le contraire de ce que doit faire l’humaniste.
Au fil du temps, harcèlement se confond complètement avec un autre mot qui n’a rien à voir sur le fond mais qui lui ressemble sur le plan sonore… Harasser.
Harasser est beaucoup plus concret et violent. Harasser les chiens par exemple, en les faisant courir après les cerfs. Harceler quelqu’un prend ainsi le sens de chasser quelqu’un et ce mécanisme est encore accentué en anglais où le harcèlement sexuel se dit “sexual harrasment”. D’ailleurs la métaphore de la chasse est très présente dans le mouvement #MeToo depuis l’affaire DSK et plus récemment l’affaire Weinstein ou en France l’affaire Matzneff. On parle clairement de “prédateurs sexuels”.
La notion de harcèlement moral arrive elle au 20e siècle, créée par une psychiatre française. C’est à cette époque que le harcèlement entre dans la loi, en particulier pour le monde du travail, donc ça devient très important.
Et ce qui disparaît à ce moment-là, ce sont les sens innocents du mot. Et en particulier, dire : je suis harassé pour juste dire je suis fatigué. Cela indique bien la dureté de notre époque. On connaît malheureusement le danger de certaines moqueries notamment entre ados sur les réseaux. Le harcèlement crée dans ce cas un harassement fatal : une fatigue mentale si grande qu’elle peut pousser au suicide.
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