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Producteurs de noisettes en difficulté en Turquie : vers une pénurie de Nutella ?

Y aura-t-il bientôt pénurie de Nutella ? En Turquie, en raison de la crise économique, les producteurs de noisettes doivent ralentir leur activité. Le monde pourrait manquer de pâte à tartiner.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des noisettes sèchent à Akyazi (Turquie). La Turquie est le premier pays exportateur de noisettes. (OZAN KOSE / AFP)

Si votre café vient du Brésil et vos céréales des États-Unis, les noisettes de votre pâte à tartiner, elles, arrivent de Turquie. Premier exportateur mondial, le pays assure à lui seul 70% de toute la production de la planète grâce à ses immenses champs de noisetiers plantés sur les collines au bord de la Mer Noire. 

Il y a plus de 76 000 nuciculteurs en Turquie. Si l'on compte en plus les ouvriers des usines de conditionnement, le secteur fait vivre plus de quatre millions de personnes, dans des conditions de travail et de traçabilité souvent discutables. Le secteur se retrouve, comme d'autres, victime de la politique économique du président turc. La question est récurrente. Mais cette fois c'est du sérieux.

Une inflation à 21%

Pour doper la croissance, Recep Tayyip Erdoğan s'est mis en tête de faire baisser les taux d'intérêt. La livre turque a donc commencé à baisser et au début, ça a marché, les exportations se sont envolées. Selon le gouvernement elles ont même atteint un niveau record de 21,5 milliards de dollars en novembre, soit une hausse de 33,4% par rapport à l'année précédente. Le PIB a atteint des sommets. Sauf que la livre n'a pas seulement baissé, elle s'est mise à dévisser : en un an, elle a perdu presque la moitié de sa valeur.

Tous les produits importés (notamment l'énergie et les matières premières) sont donc devenus beaucoup plus chers. La machine à produire de l'inflation s'est emballée : +21% rien qu'en novembre – des chiffres officiels probablement sous-estimés. Les mesures d'urgence annoncées en catastrophe le mardi 21 décembre ont permis à la livre de retrouver un peu de couleurs, mais sur le fond ça n'a pas changé grand-chose. Le grand public a vu ses économies s'évaporer, ses salaires s'effondrer et le coût de la nourriture augmenter. Pour les plus modestes les médicaments, la viande, les œufs, même l’huile et le pain sont devenus hors de prix.

Des engrais trois fois plus chers

Les producteurs de noisettes eux aussi sont dans le rouge : pour faire pousser des noisettes, il faut des engrais. Or ils coûtent trois fois plus cher que l'an dernier. 215 dollars la tonne en 2020, 650 cette année. Ensuite il y a le transport : le prix de l’essence, payé en dollars sur le marché international, atteint des sommets.
Une fois triées et décortiquées il faut les emballer dans des sachets qui sont eux aussi importés. Les salaires eux aussi augmentent.
Les acheteurs ont porté le coup de massue final en s'appuyant sur la dévaluation de la livre pour casser les prix. Aujourd'hui quand vous achetez un kilo de noisettes à 20 euros, les grossistes l'ont eux payé deux euros. Grossistes qui travaillent pour Nestlé, Godiva, et surtout l'italien Ferrero (qui à lui seul capte un tiers des exportations turques).

Résultat, des dizaines de milliers de paysans turcs ne gagnent plus assez pour vivre, la production de noisettes est en train de se réduire comme peau de chagrin. 

Faire des stocks de Nutella ?

Ça veut pas dire pour autant qu'on ne va plus pouvoir trouver de pâte à tartiner dans les supermarchés ! Ferrero a même contacté franceinfo : "rassurez-vous, les circuits d'approvisionnement fonctionnent normalement". Un consultant cité par le Wall Street Journal estime malgré tout que si vous êtes un gros consommateur de Nutella il va peut-être falloir songer à faire des stocks ! Car a minima les prix risquent d'augmenter. Surtout en l'absence de mesure corrective de la politique économique (pas toujours cohérente) imposée par le président turc. Les producteurs, eux, craignent des faillites : pour l'instant le ministère de l'Agriculture les pousse simplement à se lancer eux-mêmes dans la transformation du produit au lieu de vendre seulement leur matière première, ce qui leur assurerait un meilleur revenu. Mais on en est loin. 

Ceci dit la cote de popularité du gouvernement ayant baissé en même temps que la monnaie et des élections se profilant pour 2023 (au plus tard), il est possible que Recep Tayyep Erdogan se décide à prendre des mesures de long terme. Et la production de noisettes reprendra peut-être son cours normal. En tout cas, la prochaine fois que vous vous faites une tartine au petit déjeuner... pensez-y !

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