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Guerre en Ukraine : le massacre de Boutcha, possible crime de guerre qui suscite l'indignation

Après le massacre de Boutcha, près de Kiev, en Ukraine, de nombreux pays appellent à une enquête sur ce qui se présente comme un "crime de guerre". Et c'est peut-être l'un des tournants de ce conflit.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Des hommes transportent le corps d'un civil dans une rue de Boutcha (Ukraine), le 3 avril 2022. (AFP)

Face à l'horreur des atrocités commises à Boutcha, l'Europe replonge dans les pires moments de son histoire et la condamnation internationale est unanime : le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, parle de "coup de poing dans l'estomac". Le secrétaire général des Nations unies demande quant à lui l'ouverture d'une enquête indépendante et les mots "crimes de guerre" résonnent en écho d'une chancellerie à l'autre, de Berlin à Londres : Emmanuel Macron évoque des "images insoutenables". "Il y a des indices très clairs de crimes de guerre" à Boutcha et il est "à peu près établi que c'est l'armée russe" qui y était présente, a indiqué le chef de l'État lundi 4 avril sur France Inter. 

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez parle lui d'un possible "génocide" et réclame la comparution des coupables "devant la Cour pénale internationale". 

Moscou, de son côté, convoque le Conseil de sécurité de l'ONU pour évoquer ce qu'il qualifie de "provocations" et de "mise en scène" de la part des Ukrainiens. "Nous rejetons catégoriquement toutes les accusations", indique le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, assurant que les experts du ministère russe de la Défense ont découvert des signes de "falsifications vidéo" et des "fakes" dans les images présentées par les autorités ukrainiennes. 

Un long travail d'enquête

À Boutcha, le nombre total de morts reste encore incertain. Selon la procureure générale d'Ukraine Iryna Venediktova, les corps sans vie de 410 civils ont été retrouvés dans les territoires de la région de Kiev récemment repris aux troupes russes, qui s'en sont retirées pour se redéployer vers l'Est et le Sud. L'AFP a vu samedi les cadavres d'au moins 22 personnes portant des vêtements civils dans des rues, tuées d'"une balle dans la nuque" aux dires du maire, qui a par ailleurs affirmé samedi que "280 personnes" avaient été enterrées "dans des fosses communes".

Dans toute l'Ukraine, une quarantaine d'ONG ont déjà commencé le travail de recueil des preuves et de documentation sur le terrain. À Boutcha comme ailleurs, il faut tout vérifier, tout recouper. Comme sur une scène de crime, identifier les noms, collecter les témoignages des survivants... Des démarches qui prennent énormément de temps. La devise des enquêteurs ? "Ne jamais rien présupposer, ne croire en rien, tout vérifier" – la méthodologie est bien rodée. La différence avec d'autres conflits, c'est que la guerre en Ukraine est très documentée par les photos et les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux : cela peut accélérer les choses.

Procès devant les tribunaux internationaux 

Ensuite viendra le temps des procès. Soit devant la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête le 3 mars. Avec une limite : la Russie s'en étant retirée en 2016, la Cour ne pourra pas poursuivre des individus russes sur le sol russe, elle ne pourra le faire que s'ils sont arrêtés dans un pays qui lui reconnaît sa compétence. 

Soit devant un tribunal spécial, comme il en a été créé pour l'ex-Yougoslavie (Le TPIY a condamné quatre responsables serbes pour de nombreux chefs de crimes contre l'humanité commis pendant le siège, y compris le terrorisme. ou le Rwanda (qui a cessé ses activités en 2015). L'Ukraine et certains juristes le réclament.

Soit devant des justices nationales. Au nom de la compétence universelle, n'importe quel pays peut en effet ouvrir une enquête pour crime de guerre. C'est comme ça que la France, la Suède, la Belgique ou le Canada ont condamné des responsables du génocide rwandais. C'est comme cela aussi que le tribunal de Coblence, en Allemagne, a récemment condamné à la prison à vie un ancien colonel syrien du régime de Damas.

De quoi changer le cours de la guerre ?

Toutes ces démarches prennent du temps, souvent une dizaine d'années. Le plus diffcile est d'établir toute la chaîne de responsabilités, depuis les officiers sur le terrain à ceux qui ont donné l'ordre de massacrer les civils.

À plus court terme, quelle peut être la réponse des occidentaux après l'effet de sidération ? Parfois, dans le déroulement d’une guerre, il y a le massacre de trop, celui qui change le cours de l’histoire. On pense aux deux bombardements du marché de Sarajevo, en 1994 et en 1995, pendant le siège de la ville par les forces serbes. C'est cet événement qui a poussé l’Otan à déclencher une intense campagne de bombardements. Elle a duré trois semaines et débouché sur les accords de Dayton mettant fin à la guerre en Bosnie.

Le massacre de Butcha pourrait être de ceux-là. Sauf que personne n’est prêt à une confrontation militaire directe avec la Russie, qui est une puissance nucléaire. Ce n'est pas sur le terrain militaire que les occidentaux feront plier Vladimir Poutine.

L'arme économique

Leur arme principale, c'est le levier économique. Les européens s'engagent à prendre de nouvelles sanctions. Il y en a déjà eu plusieurs depuis le début de la guerre le 24 février, contre des entreprises, des banques, des hauts responsables politiques, des oligarques. Jamais elles n'ont fait plier le Kremlin. Mais les européens pourraient finalement se décider à priver le pays d'une ressource financière essentielle en interdisant les importations de gaz russe.

Les États-Unis ont interdit l'importation de pétrole et de gaz russes peu après l'invasion de l'Ukraine, mais pas l'Union européenne qui s'approvisionnait en Russie à hauteur de 40% environ en 2021. Pour l'instant, seuls les pays baltes ont franchi le pas samedi 2 avril, le président lituanien Gitanas Nauseda appelant le reste de l'Union européenne à les suivre. Les trois pays sont désormais desservis par des réserves de gaz stockées sous terre en Lettonie.

Berlin, très dépendant de la Russie en matière énergétique et jusqu'ici très réticent à imaginer un embargo, est aujourd'hui prêt à en discuter. C'est une inflexion réelle. À court terme, il n'y a pas d'autre moyen de condamner les atrocités de Boutcha. D'autant que même si les Russes se retirent de la région de Kiev, ils se redéploient dans l’Est pour assurer la continuité territoriale entre le Donbass, le port assiégé de Mariupol et la Crimée : les combats et les atrocités vont se pooursuivre.

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