Guerre en Ukraine : l'équilibriste Recep Tayyip Erdogan tente de faire revenir la Russie dans l'accord céréalier
Va-t-il réussir à relancer les exportations de céréales ukrainiennes par la mer Noire ? Depuis le début du conflit – et plus encore depuis sa propre réélection en mai – Recep Tayyip Erdogan se place au centre du jeu. Il cherche à paraître incontournable. C'est d'ailleurs l'un des rares dirigeants – le seul de l'OTAN – à parler aussi bien à Kiev qu'à Moscou. Il était dans la capitale ukrainienne en août 2023, comme il était déjà à Sotchi l'été 2022.
Sa rencontre de ce lundi, à Sotchi, avec Vladimir Poutine constitue une rare visite en Russie d’un dirigeant du G20 depuis l’invasion russe en février 2022, après celle du président chinois, Xi Jinping, à Moscou en mars dernier.
Une position d'équilibriste qui vise en réalité avant tout à préserver ses propres intérêts. La Turquie est très dépendante de la Russie, elle accueille ses touristes et leurs devises. En ces temps de crise et d'hyperinflation, 48% en juillet sur un an, ce n'est pas négligeable. Elle a surtout besoin de son gaz – qui représente presque la moitié de sa consommation – et est assez sensible aux largesses de Gazprom, pas trop regardant sur les délais de paiement.
Solidaire avec l'Ukraine
Recep Tayyip Erdogan refuse d'appliquer la moindre sanction économique contre Moscou. De l'autre côté il s'est toujours montré solidaire avec l’Ukraine, sa voisine des bords de la mer Noire, avec laquelle il entretient un partenariat militaire de longue date et dont il soutient l'adhésion à l'Otan. Quand son industrie de défense a fait l'objet de sanctions, notamment après la guerre au Haut Karabagh il y a deux ans, Ankara s'est rapprochée de l'Ukraine. Plus récemment, le président turc a fermé le passage du détroit du Bosphore aux navires russes.
Le président turc a été la cheville ouvrière de l'accord sur les céréales l'an dernier, négocié avec l'ONU pour sécuriser leur exportation par la mer Noire et éviter une crise alimentaire, en Afrique notamment. Depuis que la Russie a claqué la porte de cet accord, l’Ukraine dépend pour ses livraisons de quelques voies terrestres et d’un port fluvial peu profond, ce qui limite considérablement le volume de ses exportations de céréales.
Nouveaux bombardements des ports céréaliers
Les discussions sont en cours depuis plusieurs semaines, mais la Russie, qui juge que l'accord – déjà prolongé deux fois – n'a pas été respecté, pose ses conditions. Elle réclame notamment la levée des sanctions internationales qui entravent ses paiements bancaires et l'empêchent de livrer normalement ses propres produits agricoles, ses engrais et son gaz. Sur ces sujets Recep Tayyip Erdogan n'est pas le seul à avoir la main, mais il a bien fait passer le message par la voix de son ministre des Affaires étrangères.
Les signaux récemment envoyés par Moscou ne sont pas très positifs. Quelques cargos chargés de grain ont réussi à longer les côtes de la mer noire jusqu'à Istanbul sans être pris pour cible, dans un corridor géré par l'Ukraine elle-même, mais depuis le mois de juillet les ports ukrainiens, leurs réserves de céréales et leurs infrastructures sont régulièrement bombardés par les Russes. Dans la nuit du 3 au 4 septembre, à la veille de la rencontre de Sotchi, un raid a visé la région d'Odessa.
Selon l'armée de l'air ukrainienne, dans le port d'Izmaïl, sur la rive du Danube, dans la région d'Odessa, vingt-trois drones sur les 32 appareils de fabrication iranienne lancés par Moscou ont été abattus. L'attaque russe a duré près de trois heures et demie, elle a touché des entrepôts et des sites de production. Des débris de drones ont par ailleurs provoqué des incendies de bâtiments civils.
Vladimir Poutine montre les muscles, pourtant, malgré quelques différents apparus ces derniers mois avec Ankara, le président russe ne peut pas se permettre de mettre en péril ses relations avec la Turquie.
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Sous les projecteurs à l'ONU ?
Si la Russie revient dans l'accord, le président turc pourrait revenir sous les projecteurs à l'occasion de la prochaine Assemblée générale de l’ONU. Il pourrait s'en servir comme d'un tremplin pour des négociations de paix plus larges entre l’Ukraine et la Russie. C'est un vrai test pour sa diplomatie et le rôle majeur qu'il entend tenir sur la scène internationale.
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