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Au Canada, des écoles détruisent des milliers de livres jugés discriminatoires envers les Amérindiens

Près de 5 000 livres présents dans des écoles canadiennes, jugés discriminatoires à l'égard des Premières nations, autrement dit les Indiens, ont été détruits depuis 2019. Parmi eux, de grands classiques de la littérature jeunesse.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Pocahontas : Une légende indienne, long-métrage d'animation sorti en 1995. (WALT DISNEY PICTURES / COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP)

Tintin en Amérique, cela vous parle ? Hergé y évoque les "Peaux-Rouges", une appellation jugée dégradante : ouvrage censuré. Même chose pour Le Temple du Soleil et trois albums de Lucky Luke, où les Indiens incarnent soit des méchants, soit des paresseux, soit des alcooliques (soit tout à la fois) : c'est caricatural, irrespectueux, on jette !

A l'origine de cette grande purge littéraire, le conseil scolaire de Providence, dans le Sud-Ouest de l'Ontario, qui représente 30 établissements du primaire et du secondaire.

"Pocahontas" à la benne

Avec l'aide d'une "gardienne du savoir" autochtone, la chercheuse Suzy Kies, coprésidente de la Commission autochtone du Parti libéral du Canada (qui en réalité n'a aucun ancêtre autochtone jusqu'à au moins l'année 1780), il a écarté tous les ouvrages qui donnent une image inappropriée, datée ou négative des Amérindiens. Ceux qui ancrent dans la tête des jeunes Canadiens d'aujourd'hui des stéréotypes qui n'ont plus leur place alors que le pays s'est lancé dans une grande réconciliation avec ses Premières nations.

Autre exemple. Quand les femmes amérindiennes sont trop aguicheuses ou trop sensuelles, cela ne va pas non plus : à la benne Astérix et les Indiens, oubliez même la divine Pocahontas de Disney, considérée comme une représentation historique erronée - il est vrai qu'aucune Indienne ne s'est promenée en mini-jupe dans les plaines du Dakota.

Un livre français, Les Indiens, publié en 2000, a lieu aussi été écarté parce qu'il avait été conçu "sans consultation des communautés autochtones du Canada. "Jamais à propos de nous sans nous" dit Suzy Kies.Toutes les histoires écrites par les Européens, d'une perspective euro-centriste. Il n'y a pas que les BD ou les romans qui sont mis à l'index. Un livre d'activités pour enfants a aussi été recalé. Il propose de se fabriquer une coiffe d'Indien avec du carton et de la feutrine, vu comme de l'appropriation culturelle.

Purification par la flamme

Nos confrères de Radio-Canada qui révèlent l'affaire nous apprennent qu'il y a deux ans, une première cérémonie de "purification par la flamme" a même eu lieu dans une école. Les cendres des livres ont ensuite servi d'engrais pour planter un arbre. C'était une démarche éducative, se justifie le conseil scolaire catholique, qui indique qu'"enterrer les cendres du racisme et de la discrimination", c'est "faire du positif à partir du négatif". Chacune des autres écoles aurait dû faire la même chose, avec la bénédiction du ministère de l'Éducation. La pandémie ne l'a pas permis. 5 000 ouvrages ont tout de même été retirés des rayons, 155 références au total.

Un consensus pour repenser l'enseignement de l'histoire

Ces décisions n'ont pas toujours été bien comprises. C'est le même débat qu'autour des déboulonnages de statues de généraux esclavagistes aux Etats-Unis ou ailleurs. Faut-il détruire les symboles du passé ou les garder en les remettant dans leur contexte ? Faut-il brûler les livres ou en faire une matière pédagogique pour faire comprendre les évolutions de la société ? Il est vrai que le Canada a un problème avec ses peuples autochtones. Il y a aujourd'hui consensus général sur la nécessité de repenser l'enseignement de l'histoire du pays et mieux protéger les descendants des peuples premiers, trop souvent encore victimes de préjugés, de racisme ou d'injustice. 

Alors que le pays est en pleine campagne électorale, à deux semaines d'élections législatives anticipées, les principaux candidats dont le Premier ministre Justin Trudeau (en difficulté pour sa réélection), ont dénoncé cet acte autodafé.

"Il y a eu des millions de livres écrits dans l'histoire" a notamment dit Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois. "La quasi-totalité d'entre eux véhicule sûrement des idées qu'aujourd'hui on ne cautionne plus. On ne va pas tous les brûler."

Car brûler des livres, c'est faire "comme les nazis dans les années 1930" ou "comme les talibans" ajoutent certains Canadiens outrés qui convoquent régulièrement sur les réseaux sociaux cette citation de l'écrivain Heinrich Heine : "Là où l'on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes." Dans un courriel à Radio Canada, le Conseil scolaire Providence assure "regetter sincèrement l'impact négatif qu'a pu avoir cette initiative qui se voulait comme un geste de réconciliation".

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