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Afghanistan : le Qatar, médiateur incontournable avec les talibans

Depuis que les talibans ont repris le pouvoir en Aghanistan, le Qatar s'est imposé comme le principal médiateur entre les nouveaux maîtres de Kaboul et les États-Unis. Comment ce micro-État a-t-il réussi à prendre une telle place sur la scène diplomatique ?

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
L'émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani à Doha, le 14 décembre 2019.  (MUSTAFA ABUMUNES / AFP)

Si le Qatar est si bien placé pour jouer les intermédiaires, c'est d'abord parce qu'il a très tôt fait le choix de rester proche des islamistes afghans. Même entre 1996 et 2001, pendant la pire période de l'obscurantisme taliban, si l'Emirat n'établit pas de relations diplomatiques officielle avec Kaboul (contrairement à ce que font ses voisins, l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes-Unis), il garde le contact.

Puis il reçoit sur son sol les responsables talibans libérés de Guantanamo ; en 2013, fidèle à sa tradition d'accueil des activistes de différentes mouvances islamistes – et toujours avec la bénédiction des États-Unis – il héberge à Doha la représentation officielle des talibans, leur "bureau politique" qui existe encore et a pour ambition de devenir une ambassade en cas de reconnaissance du régime. Les talibans ont par ailleurs fait de la chaîne qatarie Al-Jazira leur canal de communication privilégié.

Gros contrats avec les États-Unis

Le Qatar, ce petit pays qui sait parler à tout le monde, sait jouer avec les paradoxes, à la fois proche des talibans... et des Américains, qui possèdent dans l'Émirat leur plus importante base militaire au Moyen-Orient, le Centcom.

Et même si ces dernières années Doha a tour à tour été accusé de financer le terrorisme, d'être un allié de l'Iran, de soutenir les Frères musulmans un peu partout dans le monde arabe, jamais le lien n'a été rompu avec Washington. En 2019, sous la présidence de Donald Trump, les deux pays ont même signé de très gros contrats dans le pétrole, l'aéronautique et l'armement.

Accords de Doha

Les Qataris, en bon maîtres de l'équilibrisme, sont donc peu à peu devenus des médiateurs naturels et incontournables. C'est à Doha qu'ont été signés les accords historiques de février 2020 sur le départ des soldats américains d'Afghanistan et les discussions inter-talibanes. C'est à Doha que 8 000 Afghans vont être accueillis temporairement. C'est à Doha encore que les délégations des pays occidentaux, comme la France, viennent aujourd'hui discuter avec les talibans. C'est Doha qui va gérer en partie la logistique de l'aéroport de Kaboul après le retrait américain. 

Cet été, c’est de Doha encore que le chef du bureau politique des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, a rejoint Kandahar à bord d’un avion militaire de la Qatar Air Force.

Jouer sur les deux tableaux est un pari risqué. Si les talibans se font déborder par l'État islamique ou s'ils portent atteinte de façon trop ostentatoire aux droits des femmes et finissent par rompre les liens avec la communauté internationale, Doha a évidemment beaucoup à perdre.

Le Qatar à la table des grands

Parce que les Qataris se rêvent à la même table que la Chine et la Russie qui placent leurs pions en Afghanistan. Ils cherchent à gagner en légitimité, à faire de leur minuscule État (qui n'est pas plus grand que la Gironde) un acteur diplomatique de premier plan sur la scène internationale, en orient comme en occident. Ce qui les a conduits par exemple il y a quelques mois à s'investir dans le processus de transition démocratique en Libye. Mais aussi au Soudan dans la crise du Darfour ou au Liban.

Quand on a aussi comme alliés l'Iran et la Turquie, cela demande beaucoup d'agilité politique. Mais le Qatar s’est construit une partie de sa notoriété sur cette flexibilité. Le boycott imposé en 2017 par ses voisins arabes (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, Égypte), furieux de ses liens avec des mouvements islamistes, a refroidi ses ardeurs : le pays souhaite désormais moins s'exposer. Mais jouer les "go-between" fait aussi partie de la stratégie de "soft power" tous azimuts de l'Émirat, qui passe autant par l'arrivée de Messi au PSG que par le volet taliban.

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