Cet article date de plus de deux ans.

Yann Arthus-Bertrand : "Je ne pensais pas, de ma vie, voir le changement climatique se dérouler sous mes yeux"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le photographe, reporter et président de la Fondation GoodPlanet, Yann Arthus-Bertrand. Il sort une nouvelle version de son livre, "La Terre vue du ciel" et publie un livre autobiographique, "Legacy – L’héritage d’une vie", les deux aux éditions de la Martinière.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Yann Arthus-Bertrand à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) le 16 novembre 2021 (VINCENT JOSSE / FRANCE INTER / RADIO FRANCE)

Photographe, reporter, réalisateur, militant écologiste, président de la Fondation GoodPlanet, Yann Arthus-Bertrand a fait le tour du monde, ses images et ses reportages aussi. Son livre le plus connu est La Terre vue du ciel. Celui-ci ressort avec une nouvelle édition, de nouvelles photos, de nouvelles légendes. Il publie également le livre : Legacy - L'héritage d'une vie, aux éditions de La Martinière.

franceinfo : Legacy - L'héritage d'une vie est un récit très intime, avec une inquiétude grandissante qui fait peur, d'ailleurs.

Yann Arthus-Bertrand : Mais vous n'avez pas peur quand vous lisez le rapport du GIEC ? Quand les gens parlent de la sixième extinction, ça ne vous fait pas peur ?

Inévitablement, j'ai envie d'y croire.

Oui, mais c'est un peu le problème. Aujourd'hui, on croit tous en l'avenir, en se disant : "De toutes façons, on va y arriver, on va se sortir de cette ornière" et en fin de compte, on est dans un déni complet. 

"Quand on voit ce qui s'est passé avec les cyclones aux Etats-Unis, c'est incroyable, ils n'avaient jamais connu ça. On va vers un monde déséquilibré."

Yann Arthus-Bertrand

à franceinfo

Quand le secrétaire général des Nations unies vous dit : "On va vers une catastrophe imminente". Moi, ça me fait peur. Moi, je ne pensais pas, de ma vie, voir le changement climatique se dérouler sous mes yeux. J'ai fait le film Les 150 sur la convention citoyenne. J'ai vu cet élan comment ensemble, en citoyen, on peut essayer de changer les choses, mais on n'en prend pas du tout le chemin. Quand les scientifiques vous disent : "Voilà, le climat qu'on a eu pendant dix mille ans, sur lequel s'est construite notre civilisation, il est parti à jamais. Il faudra vivre d'une façon différente". Et on n'a pas du tout réalisé ça, on continue à vivre exactement de la même façon. Je n'ai pas la solution.

Il y a un syndrome de la solution, mais la solution passera par une prise de conscience personnelle. Ce ne sont pas les politiques qui vont changer le monde parce que les politiques sont dirigés par leurs électeurs, j'en suis persuadé. Quand il y a une marche pour le climat à Paris, on est 40 000, on est très contents. Quand il y a l'arrivée de la Coupe du monde, on est deux millions. Quand on sera deux millions dans la rue à marcher pour le climat, peut-être qu'on changera tous ensemble.

Vous allez tomber très rapidement amoureux de la photographie. Le but, c'est vraiment de raconter et de faire un état des lieux de la Terre. 

Je voulais faire un gros travail avant l'an 2000. Je me suis dit : il y a l'an 2000 qui va arriver, tiens, je vais faire un travail sur la Terre vue du ciel. Au départ, c'était beaucoup plus pour parler de la beauté. Et c'est vrai qu'à cette époque-là, il faut imaginer qu'on ne parlait pas du tout du changement climatique. Et Dieu sait que j'ai utilisé les énergies fossiles, on m'a reproché l'hélicoptère, mais on ne le savait pas à ce moment-là. Quand le livre sort, je n'étais plus la même personne.

Je voudrais qu'on aborde votre enfance puisque vous l'abordez dans cet ouvrage, vous dites : "J'ai fait beaucoup de conneries, j'étais insupportable. Un ado buté, incontrôlable. À 17 ans, je n'avais pas d'avenir". C'est vrai que c'était inespéré de vous voir réussir. À 12 ans, vous vous battiez avec vos professeurs.

J'avais cette espèce de violence en moi, que j'ai toujours d'ailleurs un peu. La colère, l'injustice. C'est un peu le buzz des Quatre cents coups de François Truffaut (1959). Cette espèce de gosse buté qui n'a envie de rien, qui est dernier, qui est près du radiateur, qui triche tout le temps, qui n'existe avec ses copains qu'en faisant le con.

"J'étais un gosse plutôt un peu perdu, mais ayant très confiance en moi, avec une très forte personnalité. Je n'étais pas inquiet en fin de compte."

Yann Arthus-Bertrand

à franceinfo

Tout le monde, dit dans sa vie : "J'ai rencontré le professeur Machin qui m'a fait découvrir etc... " Moi, je n'ai pas eu ce prof. J'ai plutôt eu des curés aux mains baladeuses.

On se rend compte que les femmes vous ont beaucoup apporté. Vous êtes tombé amoureux de la mère de votre meilleur copain, elle avait 24 ans de plus que vous. Est-ce que les femmes vous ont sauvé ?

Elles ne m'ont pas sauvé, mais elles m'ont beaucoup aidé. Souvent, je me dis que je n'ai peut-être pas assez rendu. En faisant ce film Woman (2019), je me dis que je n'ai peut-être pas été assez bien avec les femmes de ma vie, je le reconnais. La première femme qui avait 24 ans de plus que moi, j'étais très amoureux. C'est surtout elle qui a fait ce que je suis aujourd'hui, qui m'a fait découvrir la nature, les animaux.

Et après, quand je suis parti, j'ai rencontré Anne avec ses deux petits garçons, qui sont mes enfants, et on est partis ensemble au Kenya. Il y a un côté formidable des femmes qui savent se donner entièrement aux gens qu'elles aiment et Anne n'a pas hésité une seconde. Elle est partie. Elle a quitté son travail, a pris ses enfants. Elle est partie au Kenya avec un mec qui n'avait pas d'argent, qui n'avait pas d'avenir, par amour et ça, je ne sais pas si j'aurais été capable de le faire. C'est beau.

J'ai l'impression que ce livre était aussi une façon de dire merci à vos parents.

J'étais un gosse tellement terrible... Je suis parti de la maison, quand j'avais 17 ans. Et un jour, mon père me dit, j'avais 60 ans : "Tu sais quand t'es parti, ta mère a pleuré tous les jours, dans son lit, pendant des mois". Et moi, je n'appelais pas mes parents, c'était épouvantable, comment on peut ? Si mes enfants m'avaient fait ça, je ne sais pas si je l'aurais supporté. Et un jour, je vais voir ma mère et je lui ai dit : je voudrais m'excuser pour tout ce que j'ai fait. Alors là, elle éclate de rire et me dit : "Mais on pardonne tout à ses enfants" et ça m'a fait du bien. Savoir dire pardon, c'est important.

Avec mon père, je n'ai pas réussi à le faire. On se voyait, on se parlait, on n'arrivait pas à se dire les choses. J'arrivais seulement à lui dire : bon, on ne s'est pas entendu, on n'est pas fait pareil, mais merci pour ce que tu as fait pour moi. Malheureusement, je n'ai pas pu lui dire. Il faut savoir dire aux gens qu'on les aime, c'est important.

Cancre à l'école, autodidacte, vous n'avez rien appris en milieu scolaire, mais vous avez toujours été curieux.

Même encore aujourd'hui, je suis curieux. Je n'ai pas l'impression de vieillir, j'ai l'impression de grandir tous les jours. Je n'ai jamais autant travaillé qu'en ce moment, ça me nourrit complètement.

Mais surtout ce que je veux dire, c'est que la vie n'a aucun sens, c'est toi qui décides de donner du sens à ta vie. Est-ce que tu es content de ce que tu fais ? Est-ce que tu es heureux de ton travail ? As-tu l'impression d'être utile aujourd'hui ? Ce sont des questions que je me pose maintenant de plus en plus et je pense que le moment actuel est extrêmement important dans l'histoire de l'humanité, le sens a encore plus d'importance : Est-ce que ce que je fais, sert, est utile ?

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.