Sylvain Tesson publie "Avec les fées" : "La recherche du merveilleux est une manière d'ivresse"
Sylvain Tesson est un écrivain, un voyageur et un essayiste. Il est avant tout un aventurier qui aime à publier ses récits de périples et pas des moindres. Tout a commencé par la traversée à vélo du désert central d'Islande, avant de faire le tour du monde avec le même moyen de locomotion. Il a toujours dit que s'il partait, c'était pour échapper aux renoncements des enfermés et surtout pour arrêter le temps. Le temps a failli s'arrêter pour lui, le 20 août 2014, lorsqu'il a chuté de dix mètres en escaladant une façade de maison à Chamonix. Malgré les séquelles, il n'a jamais douté sur une chose, celle de profiter de chaque grain qui composait finalement le sablier de la vie.
Il a été prix Goncourt de la nouvelle en 2011 pour Dans les forêts de Sibérie et auteur le plus vendu en 2019 avec son ouvrage La Panthère des neiges. Le 10 janvier 2024, il a publié Avec les fées aux Éditions des Équateurs.
franceinfo : Qui sont ces fées ?
Sylvain Tesson : C'est la récompense que le monde vous offre quand vous l'avez regardé avec suffisamment de déférence. C'est ce que je crois. Je suis parti faire ce voyage en voilier pendant trois mois le long de la côte atlantique, parce que justement, je voulais regarder longtemps la pliure entre la terre, le ciel et la mer, c'est-à-dire ce littoral qui court de la Galice espagnole aux Shetland écossaises et qui est à peu près le même en fait, visuellement.
Paul Fort disait : "Je vois des fées partout". J'ai l'impression que ça a été en tout cas l'adage qui fait partie de votre bateau, alors là, on est sur un vrai bateau, mais vous avez toujours été sur un bateau virtuel en quelque sorte.
Oui, mais je vois des fées partout, c'est un mot magnifique. Et quand un poète dit ça, on se dit quelle chance ! Pourquoi est-ce que moi je n'essaierais pas ? Alors j'ai décidé de me plier, enfin de m'essayer à cet exercice. Et pour ça, je me suis dit que ça passait d'abord par une géographie. Et j'ai trouvé ce ruban littoral de la Galice au nord de l'Écosse. Ce qu'on peut appeler l'arc celtique, c'est tous les promontoires qu'on connaît : la Bretagne, la Cornouaille, le Pays de Galles, l'Irlande, l'Écosse, les Orcades parce qu'il y avait à la fois cette espèce de beauté violente de la mer qui se fracasse dans la pluie de la lumière, mais il y a aussi la mythologie celtique et atlantique. Et ça, ça faisait cette fécondation entre la géographie et l'histoire.
Je voudrais qu'on revienne sur un autre adage de ce qu'est par exemple la définition de l'esprit celte qui est : "demeurer au bord du vide". Êtes-vous toujours au bord du vide ?
On peut illustrer cette envie de positionnement existentiel par la position au bord du vide. Or, que s'est-il passé dans l'histoire celte ? Il y a eu des populations qui ont été chassées de l'Europe centrale au Vᵉ siècle avant Jésus-Christ et elles sont venues s'installer sur les promontoires de l'Atlantique. Et qu'est-ce que c'est que ces promontoires ? C'est un balcon où tous les soirs, vous voyez le soleil se coucher. Tous les soirs, vous êtes le témoin de la mort du jour.
"J'aime bien être dans une espèce d'équilibre permanent. J'ai besoin de toujours mettre ma vie un peu en jeu pour en ressentir toute la profondeur."
Sylvain Tessonà franceinfo
Je crois qu'on est les enfants de nos paysages. Et je crois que ces populations qui vont de la Galice espagnole à l'Écosse et qui tous les soirs depuis des milliers d'années, voient le soleil s'écrouler dans la mer eh bien on finit par développer une forme de mentalité, un mélange de mélancolie, mais de vitalité aussi. C'est étrange comme on se sent quand on reste comme ça, de longs mois sur la façade atlantique. On ressent en soi la profonde oscillation entre une forme de nostalgie et puis une électrisation, c'est la mer et le couchant.
En même temps, le promontoire n'est pas forcément que sécuritaire. On peut aussi tomber, chuter, mais j'ai l'impression que c'est ce qui vous attire depuis que vous êtes né.
Malheureusement, je n'ai pas de sagesse philosophique, c'est-à-dire que si j'avais eu la sagesse philosophique, j'aurais su qu'il faut goûter la vie et l'apprécier sans la mettre en péril. N'étant pas sage, j'ai besoin toujours de mettre un peu en jeu ma vie pour en ressentir toute la profondeur. C'est banal, c'est idiot, mais c'est mon alchimie pour me convaincre du miracle qu'il m'a été fait de vivre.
Vous parlez aussi beaucoup d'ivresse dans cet ouvrage. L'ivresse de la Bretagne notamment. Mais finalement, il y a une ivresse partout, dans tous les paysages, dans tous ces moments magiques que l'on peut vivre, où on est en osmose avec soit l'autre, soit avec ce qu'on a sous les yeux. C'est ça qui vous attire ?
Cette ivresse-là, je la pratique un peu par la force des choses parce que l'autre ivresse, la vraie, l'ivresse organique, elle m'est interdite parce que je ne bois plus. J'ai eu un accident il y a dix ans et je ne bois plus une goutte. Alors je suis bien obligé de reconvoquer d'autres présences et d'une autre manière. Et ça, la recherche du merveilleux est une manière d'ivresse.
Qu'a remis en question cet accident ?
Déjà, comme il m'a délabré un peu, j'ai dû ralentir la machine pour des raisons purement anatomique et physique. La seule chose que ça a vraiment transformée en moi, c'est qu'il a décuplé mon appétit de vivre. Si bien que cette guérison ne m'a pas du tout transformé, en fait, ça m'a rendu encore pire.
Êtes-vous heureux alors ?
Pour l'instant, oui. Moi, je suis très heureux parce que je suis content d'avoir réussi à arriver au bout de la formulation de mes souvenirs de voyage dans ce livre.
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