Manuel Valls : "Je suis conscient des erreurs que j'ai pu faire"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’ancien Premier ministre Manuel Valls.
Manuel Valls publie Pas une goutte de sang français, aux éditions Grasset, dans lequel il raconte son parcours hors du commun et se dévoile un peu plus. Premier ministre de François Hollande du 31 mars 2014 au 6 décembre 2016, il est resté membre du Parti socialiste jusqu'en 2017, date à laquelle il démissionne. Il a notamment été maire de la ville d'Évry en Essonne de 2001 à 2012. Depuis 2019, il est conseiller municipal à Barcelone en Espagne.
La version intégrale de cet entretien est à écouter au bas de la page.
franceinfo : Après l'avoir quittée, cet ouvrage est un message d'amour à la France. A-t-il fallu vous éloigner pour mieux la retrouver ?
Manuel Valls : Oui, vous avez raison, c'est un cri d'amour. J'ai voulu exprimer à travers des dates importantes pour moi, des lieux, des personnages vivants, ce qu'était pour moi la France.
Votre France, c'est celle des villages. Il y en a un qui est très important dans votre vie, c'est la chapelle de Marcillac. Elle porte l'empreinte de votre père, un peintre catalan qui a appris à travailler les vitraux et a laissé ce patrimoine.
Mon père est arrivé à la fin des années 40. Au début, la peinture ne lui permettait pas de vivre. Il a donc appris l'art de la restauration des vitraux et enfant, il y a un lieu où nous nous arrêtions souvent, au cœur de la Corrèze, pas loin de Brive-la-Gaillarde, c'est la chapelle de Marcillac, où repose Edmond Michelet. Lui et son épouse, au début des années 60, ont demandé à mon père de réaliser les trois vitraux de cette chapelle. Au début, évidemment, je ne connaissais pas Edmond Michelet et j'ai découvert cet homme tout à fait remarquable plus tard.
Ces Français engagés, des hommes et des femmes remarquables, comptent beaucoup dans mon Panthéon personnel.
Votre père a effectivement beaucoup marqué votre enfance. Une enfance très heureuse. Concernant votre mère, vous avez du mal à mettre des mots dessus, c'est étonnant.
J'ai eu enfance très heureuse avec une famille, sur le plan financier, très modeste, un petit appartement, avec la baignoire dans la cuisine. Je me suis aperçu beaucoup plus tard qu'au fond, j'avais beaucoup de traits de caractère de ma mère, qu'elle était le pilier de la famille et c'est vrai qu'on a toujours du mal peut-être à parler de sa mère. L'émotion qui m'étreignait, rendait difficile l'écriture, mais ma mère nous a accompagnés. Elle est là, elle est toujours présente. Elle a joué un rôle très important.
Vos parents étaient d'abord citoyens du monde, ils vous ont transmis cette histoire de frontières : existent-elles ? D'ailleurs, cela a été compliqué lorsque vous étiez enfant, parce qu'il fallait régulièrement renouveler les titres de séjour.
Mes parents n'ont pas voulu être naturalisés Français. Je me rappelle l'angoisse de mon père. Il était angoissé à chaque renouvellement de la carte de séjour. À l'époque, c'était beaucoup plus compliqué. Pour moi, j'étais Français et à 16 ans, j'ai dû demander une carte de séjour et je me suis rendu compte, y compris en allant au commissariat, que j'étais espagnol. Donc pour moi, cela n'était pas naturel. Ma sœur étant née à Paris, elle pouvait choisir. Moi non, je devais engager tout le processus de naturalisation. J'ai appris à devenir français.
Vous parlez également de votre échec à la primaire de 2017. Vous racontez que vous avez mis deux ans avant de remarcher dans les rues de Barcelone sans appréhender d'être pris à partie. Cela a été dur de se relever ?
Oui, ça a été difficile, parce que c'était un univers politique et personnel qui disparaissait. Moi, je suis conscient des erreurs que j'ai pu faire. Par exemple, en ne respectant pas le pacte de la primaire, c'est-à-dire de soutenir le candidat désigné (Benoît Hamon) puisque j'ai soutenu Emmanuel Macron, donc j'apparais comme la figure du traître. Cela a été forcément très violent, même si encore une fois, j'ai été réélu à Evry mais au terme d'une campagne très dure.
C'est vrai qu'avec ce que nous avons vécu, le terrorisme qui a frappé le pays, vivre avec cette menace permanente et les dégâts que cela peut produire parmi mes compatriotes, c'était difficile. Donc oui, je me suis rigidifié et je suis passé de l'autorité qui m'était attribuée à une forme d'autoritarisme.
Manuel Vallsà franceinfo
Il y a une date très importante sur laquelle vous revenez, celle du 31 mars 2014. Vous êtes nommé Premier ministre de la France sans avoir fait l'ENA. Ce moment est une grande fierté ?
Oui, c'est une grande fierté. Je le dis dans le livre que le doute m'assaille quelques minutes. Quand j'ai été nommé ministre de l'Intérieur et quand j'ai traversé la cour du ministère, je me suis dit : "Qu'est-ce qui t'arrive ?". Quand j'ai été nommé à Matignon, j'avais déjà cette expérience, c'était différent. Cette émotion, je l'ai ressentie telle que vous décrivez à la fois au moment de la nomination, bien sûr, mais surtout à l'occasion du premier discours d'investiture.
Puis il y a eu, bien sûr, le discours du 13 janvier 2015, après les attentats. Philippe Val, qui est un homme intelligent, l'ancien directeur de Charlie Hebdo m'a dit quelques semaines après : "Attention, parce que ce discours, qui a marqué les esprits, fait de toi une cible. À la fois de tous les ennemis de la République, mais de tous ceux qui peuvent voir en toi un futur candidat à l'élection présidentielle." Je n'ai pas écouté ce conseil et sans doute avait-il raison mais peu importe, dans la vie, vous vous dites : "Qu'est-ce que vous avez fait de bien ou mal ?" Ce discours et l'action qui a été la mienne contre le terrorisme et pour les valeurs de la République restent et resteront quoi qu'il arrive.
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