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Lilian Thuram : "Je crois que nous pouvons construire une société meilleure"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, Lilian Thuram, auteur et l’un des champions du monde de football 98.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'ancien footballeur et écrivain Lilian Thuram, en avril 2018. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Lilian Thuram est l'un des champions du monde de football 98. Le footballeur, qui a longtemps évolué au poste de défenseur, s'est depuis engagé sur des sujets comme l'immigration, le racisme et l'égalité des chances. En 2008, il a d'ailleurs créé une fondation, Lilian Thuram - Éducation contre le racisme.

Il est également parrain du dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale (Demos). Un projet de démocratisation culturelle centré sur la pratique musicale en orchestre, qui organise actuellement une loterie, 25 euros le billet avec de nombreux cadeaux à gagner comme une voiture électrique, mais aussi son nouveau livre dédicacé, La pensée blanche, aux éditions Philippe Rey.

franceinfo : Quand on lit le titre de votre livre La pensée blanche, on n'est pas du tout au cœur du sujet en réalité...

Lilian Thuram : Je crois que nous pouvons construire une société meilleure. Depuis la nuit des temps, il y a toujours eu des hommes et des femmes qui dénoncent les injustices pour rendre la société meilleure. Il faut donc éduquer les enfants, leur faire comprendre que les injustices ne sont pas quelque chose de naturel.

Il faut construire l'idée que chacun de nous pouvons rendre la société meilleure et cela commence par écouter attentivement les personnes qui sont victimes dans une société.

Lilian Thuram

à franceinfo

Vous êtes né en Guadeloupe. Votre maman vous a élevé seule. Vous dites que vous avez connu votre père de loin. Il vous a manqué ?

Je dois avouer que non, parce que j'ai eu la chance d'avoir une maman qui m'a donné l'essentiel, m'a appris aussi à être discipliné.

Elle était femme de ménage aussi en métropole, ça vous a beaucoup marqué ?

Ma maman, lorsque nous étions enfants en Guadeloupe, nous a réunis autour d'une table et dit : "Voilà, maman va partir à Paris". Nous, nous étions super contents. Elle a dit : "Non, maman va partir seule". Elle est partie seule, parce qu'aux Antilles, elle était femme de ménage l'après-midi et le matin très tôt, elle partait couper la canne à sucre dans les champs.

Maman a économisé de l'argent, puis est venue nous chercher en Guadeloupe, parce qu'elle pensait qu'être à Paris pouvait nous donner plus d'opportunités pour réussir notre vie.

Lilian Thuram

à franceinfo

Vous vous souvenez du moment où vous avez quitté la Guadeloupe et êtes arrivé à Paris ?

Alors tout d'abord, j'étais extrêmement heureux, parce que ma maman nous avait vendu Paris, la France comme étant le paradis. Donc j'arrive, je regarde autour de moi et je me dis : "Mais c'est incroyable", parce qu'on m'avait dit qu'il n'y avait qu'une Tour Eiffel et là, j'en vois beaucoup. "Il y a plusieurs Tour Eiffel ?" On me répond : "Non, ça ce sont des poteaux électriques". La chose plus importante pour un enfant, c'est de vivre avec sa maman, donc j'étais très heureux de la retrouver.

Vous atterrissez à Bois-Colombes. Là, vous allez vraiment vivre vos premières blagues racistes, ça a été un moment assez difficile et douloureux pour vous...

Je suis dans cette classe de CM2 et là, il y a des enfants qui m'insultent de "sale noir". Je dois avouer que je reçois cela comme une violence. Je rentre à la maison et je demande à ma maman pourquoi certains ont des idées négatives sur les personnes noires et elle me donne une très mauvaise réponse : "C'est comme ça, les gens sont racistes, ça ne va pas changer."

Heureusement, j'ai grandi, lu, rencontré des gens qui m'ont expliqué que le racisme n'était pas une fatalité. En fait, ce sont des constructions idéologiques et on peut les déconstruire, on peut changer des choses.

Lilian Thuram

à franceinfo

Lorsque je suis arrivé à Paris, nous avions des bons pour aller au Secours populaire chercher de la nourriture et des habits. En fait, c'est ma vie qui me dit que nous devons construire une société plus solidaire et je me dis que ce serait quand même fantastique de dire à n'importe qui : "Écoute, on va t'ouvrir les champs du possible", parce que des mots, c'est juste extraordinaire. Ce sont des enfants qui sont issus de banlieues dites "défavorisées" et tout d'un coup, il y a des gens qui viennent vers eux en disant : "Tiens, tu sais quoi ? La musique classique, c'est pour toi."

Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, vous vous retrouvez avec un ballon aux pieds ?

Depuis tout petit, j'ai joué au foot et je dois avouer que je ne savais pas que c'était un métier. D'ailleurs, quand on a demandé à ma mère de me laisser partir au centre de formation à Monaco, elle a dit non. J'ai eu la chance d'avoir deux grands frères qui ont expliqué à ma maman : "Non, mais il faut le laisser partir. C'est un métier." Elle a répondu : "Non. Ce n'est pas un métier." Et puis, elle m'a laissé partir en me disant : "Ok, je te laisse partir, par contre il faut absolument que tu aies ton bac." J'ai dit oui. Je me souviens très bien la première fois que ma mère m'a accompagné à l'AS Monaco pour voir un peu les installations. On me montre ma chambre et là, vue sur mer. Ma mère, qui ne voulait pas me laisser partir, m'a dit :"Mon chéri, je pense que tu vas être bien ici."

Quand a lieu la Coupe du monde en 98, il y a ce geste : vous êtes assis, vous vous tenez le menton. Comment vivez-vous ce moment-là ?

S'il n'y avait pas eu les images, je n'aurais pas su que j'avais fait ce geste-là, car je pense que j'ai eu un moment d'absence en fait et c'est vrai qu'après le match, c'était très rigolo parce qu'on essayait de me faire croire que j'étais un super héros... Mais si jamais on avait perdu, croyez-moi que le premier but, on aurait dit que c'était de ma faute.

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