"Il n'y a que les sentiments qui m'intéressent" : le dessinateur Floc'h s'approprie l'univers de Blake & Mortimer
Floc'h est une référence de la bande dessinée et de l'illustration. Il est considéré comme l'un des maîtres de la ligne claire contemporaine. Il a régulièrement travaillé pour le cinéma avec des affiches de films réalisés pour des cinéastes comme Woody Allen, Elia Suleiman, Nanni Moretti ou encore Alain Resnais, avec qui il avait tissé une belle complicité et amitié. Il a publié de nombreux livres à portée personnelle, avec une belle déclaration d'amour systématique pour la culture britannique. En résumé, c'est un amoureux des expériences graphiques et littéraires avec comme arme de création massive son crayon.
Il vient de publier, aux éditions Dargaud, Un autre regard sur Blake & Mortimer : L'art de la guerre avec la complicité de l'écrivain, scénariste et éditeur Bocquet, et l'éditeur, et rédacteur en chef de Métal Hurlant, Fromental.
franceinfo : Il s'agit d'une aventure de Blake et Mortimer à New York d'après les personnages de Jacobs. C'est une énorme surprise, car personne n'y croyait, et même pas vous-même parce que pendant toutes ces années, vous avez totalement refusé de vous mettre dans les pas de Jacobs. Qu'est ce qui vous a fait craquer ?
Floc'h : J'ai estimé que j'étais sur terre pour être Floc'h, et pour découvrir qui était ce gars-là et surtout pas être Jacobs ou un autre. Mais le temps passant et je pense que c'est certainement par esprit de contradiction aussi.
"Je suis un homme de salon, j'aime Hergé et Jacobs pour la partie intimiste : le tweed anglais, la dualité écossaise et anglaise, les pipes, les habits, tout ça... et moins pour l'aventure, que je trouve assez secondaire."
Floc'hà franceinfo
Ce qui m'embêtait, c'était que Jacobs prenait un peu des risques quand il écrivait et qu'on avait affaire à une sorte de science-fiction pour un temps qu'on connaît déjà sans risque en fait. Cela me gênait un petit peu et la science-fiction ne m'intéressait pas. Mais tout d'un coup, j'ai pensé à une manière de le faire où je pourrais rester dans les clous, mais en trouvant un moyen terme entre Jacobs et moi. Et c'est en choisissant des choses qui paraissent un peu scientifiques, à savoir l'amnésie, la psychanalyse que j'ai entrevu la possibilité de faire quelque chose.
Qu'est-ce qu'on peut raconter sans spolier ? On va dire que Blake et Mortimer se retrouvent à New York pour une conférence organisée par l'ONU pour la paix.
Je n'aurais pas fait une histoire qui se passe à Londres. Je n'en pouvais plus de l'Angleterre d'une certaine façon, et je me suis aperçu qu'en faisant ce livre, il y a des choses un peu cryptées, qui sont remontées à la surface. J'ai compris en fait que le sous-titre pourrait être "Pour en finir avec la Grande-Bretagne." J'ai choisi d'aller à New York parce que ça apportait quelque chose et ça dérangeait leur côté anglais. Je faisais en plus de New York un huis-clos et ça, ça m'intéresse parce qu'un huis-clos, c'est du théâtre. Donc, c'est une illusion de blockbuster, en fait, mon affaire.
Vous rejetez d'ailleurs totalement les blockbusters.
Oui, absolument, moi, j'ai besoin d'intimité et c'est pour ça que j'avais besoin de Fromental et Bocquet parce qu'il y a des mots et des choses que je ne sais pas. Il n'y a que les sentiments qui m'intéressent.
Au niveau des couleurs, il y a vraiment une prise de position et une direction artistique qui est très forte. Est-ce que c'était important pour vous d'apporter ces couleurs-là avec un titre comme L'art de la guerre ?
Oui, je voulais en effet une lisibilité pop. Moi, je considère presque que Jacobs s'est un peu piégé lui-même parce que ce que je préfère, en tout cas graphiquement, c'est le début avec Le secret de l'Espadon.
"La simplicité d'une case dans laquelle il y a un avion qui est rouge, un ciel bleu, des nuages blancs et ce trait noir qui explose sur ces couleurs primaires : ça, c'est pop !"
Floc'hà franceinfo
On a l'impression que chaque case est une affiche de cinéma. Il y a vraiment un jeu de subtilité. Tout doit être très précis dans votre travail et ne doit apparaître que ce qui est essentiel en écriture et en dessin.
Absolument. Je me sers de tout. Par exemple, les pages de garde qui en général ne servent à rien, moi, je les ai envahies pour faire un plan de New York pour que les gens s'amusent après la lecture, à savoir par où on est passé. Et sur ce dessin-là de Manhattan, je n'y ai mis que deux ponts, celui de Brooklyn et celui qui est près des Nations unies. Et quelqu'un m'a fait la remarque : "Mais pourquoi tu ne mets que deux ponts ?", parce que je ne mets que ce qui est nécessaire. Le reste ne m'intéresse pas.
Vous êtes lié à l'élégance. Est-ce que c'est l'une de vos lignes de conduite ?
Ma ligne de conduite, en tout cas, c'est d'être propre sur moi. Mais vous avez raison sur un point de vue, j'ai toujours choisi dans tous mes dessins, pas de l'élégance, mais le beau par rapport à l'utile.
"Je préfère abandonner de l'utile pour le beau avec un peu de poésie, ça ne fait pas de mal."
Floc'hà franceinfo
Est-ce que vous êtes fier des créations que vous avez déjà réalisées ?
C'est plutôt agréable. Tout est derrière, si vous voulez, pratiquement, même si j'ai encore des choses à faire. C'est un soulagement parce que ça s'est bien passé.
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