"Il faut consoler l'enfant qui est en soi" : Romane Bohringer en éducatrice émouvante dans le film "Petites"
Romane Bohringer est actrice, réalisatrice et fille de Richard Bohringer, qui a marqué de son empreinte le cinéma français. C'est le film Les Nuits fauves de Cyril Collard, en 1992 qui l'a consacrée avec un César du meilleur espoir féminin et le prix Georges de Beauregard. Depuis, elle varie les plaisirs entre le théâtre et le cinéma.
Mercredi 22 février 2023, elle est à l'affiche du film de Julie Lerat-Gersant : Petites. C'est l'histoire de Camille, 16 ans, enceinte de quatre mois, qui se retrouve dans un centre maternel, placée par le juge des enfants. Elle vit très mal ce placement, d'autant plus qu'elle va être séparée de sa mère immature et que l'éducatrice qui l'accueille va pour la première fois lui fixer des règles de vie commune. Romane Bohringer est également au théâtre dans la pièce Respire à la Scala à Paris, les jeudis, vendredis et samedis à 19h30, jusqu'au 1er avril 2023.
franceinfo : Dans Petites, vous interprétez le rôle de Nadine, l'éducatrice, une femme passionnée, qui est vraiment très investie dans son travail. On sent que ce rôle est très précieux parce qu'il raconte notre quotidien.
Romane Bohringer : Le rôle de Nadine, en particulier, raconte surtout la difficulté de cette institution qui doit faire des choix fondamentaux : est-ce qu'une jeune fille doit être, rester auprès de sa mère ? Est-ce que cette jeune femme peut élever son enfant ? Le personnage de la mère de Camille est un personnage bouleversant, c'est une mère aimante, mais cette mère que l’on voit, ressemble à ma mère, ressemble à plein de mères qui sont incomplètes. Donc ce sont des gens, des endroits où des décisions d'une importance incroyable sont prises. Et Nadine, c'est vrai, se trouve prise entre la passion de son métier mais aussi ses limites, c'est-à-dire les moyens. Malgré la fatigue et malgré la désillusion, elle va réussir à s'attacher à cette jeune femme, Camille, qui est séparée de sa mère trop toxique pour vivre sa grossesse dans ce centre maternel et pour décider s'il est le moment pour elle d'être cette jeune mère ou pas.
C'est votre père qui vous a totalement élevée. Il y a un énorme regard aussi sur la transmission entre une mère et un enfant. Comment avez-vous vécu ce film ?
Oui, c'est ça aussi. Le rôle m'intéressait assez peu. C'est qu'en fait, j'ai eu un réel coup de cœur sur Julie, avec qui j'ai joué sur scène au théâtre et que j'ai vu écrire son scénario. Puis après elle m'a dit qu'elle avait écrit ce rôle pour moi. J'en étais très touchée. Mais ce qui m'importait vraiment le plus, c'était que son film existe. Après, j'ai été frappée, presque bouleversée par la similitude de ce qui habite Julie dans ce film et de ce qui sont à peu près les sujets les plus obsédants de ma vie, c'est-à-dire : la maternité, la transmission, la résilience. J'ai été bouleversée par le regard que Julie Lerat-Gersant portait sur un acte, une jeune femme, bouleversée par son regard plein d'empathie et comment elle éclaire ce parcours accidenté.
Vous vous autorisez aussi à assumer ces émotions que vous avez en vous. Ça, c'est aussi quelque chose que possède votre père. Qu'est-ce que vous gardez de lui ?
"Je crois qu'au-delà des mots, l'héritage de mon père est partout en moi et notamment dans ma manière de penser mon métier, et ce bien plus que je ne l'avais imaginé."
Romane Bohringerà franceinfo
C'est au-delà des mots. Je crois que la vie qu'on a eue d’abord tous les deux, puis dans une famille qu'on s'est réinventée, les années fondamentales de ma petite enfance, sous son bras, vraiment comme un paquet, ont fait qu’on a été l'un pour l'autre comme un radeau. À un moment donné, avec mon père, on s'est vraiment accrochés l'un à l'autre.
Je lui ressemble physiquement, j'ai sa voix. J'ai réalisé il y a très peu de temps, un truc. Pendant des années, je l'ai observé faire son métier, monter sur scène avec ses textes, faire de la radio en lisant ses textes ou celui des autres, écrire des romans d'après sa vie. Pendant des années, j'ai dit que jamais je ne pourrais exercer mon métier comme ça. J'en étais plus que convaincue. Et puis, le premier film que je réalise est un film totalement sur ma vie, un film d'autofiction absolu, et je m'en suis rendu compte il n’y a pas longtemps.
Parlons justement de ce métier. Effectivement, vous avez eu ce père, l'absence de votre mère certes, mais il y a eu un troisième personnage dans tout ça, c'est le théâtre et le cinéma. C'est vrai que vous étiez souvent réveillée par les applaudissements à la fin de la pièce. Votre père vous montait sur scène avec lui. Ça veut dire que vous avez trouvé, notamment dans le théâtre, ce moyen de vous exprimer, de vous accomplir ?
Oui, je dois dire que si je devais le résumer physiquement, j'ai eu l'impression que quand j'ai posé mes pieds dans le théâtre, mon corps s'est transformé. Je dis souvent que c'était comme une deuxième naissance.
"Je dois avouer que même encore maintenant, à 50 ans, quand je rentre dans un théâtre comme spectatrice ou comme actrice, ce sont des endroits où j'ai l'impression d'être dans le giron maternel."
Romane Bohringerà franceinfo
C'est vrai, c'est la vérité, c'est l'effet que ça me fait tout le temps. Je suis à l'intérieur et je suis protégée. Et donc, quand j'ai trouvé ça à 16 ans, ma vie s'est illuminée.
Est-ce qu'on pardonne à une mère qui nous a laissé ?
Oui. C'est un long chemin. Ça ne se fait pas sans travail. Il faut aller gratter, fouiller. Moi, c'est venu très tard, après mes enfants. C'est ma psy qui m'avait dit ça un jour : "Il faut consoler l'enfant qui est en soi".
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