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Claude Lelouch : "J'aimerais bien faire un film qui me donne envie d'arrêter"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Cette semaine, un invité exceptionnel, le cinéaste Claude Lelouch qui remonte le temps en se livrant autour de cinq de ses films incontournables.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le cinéaste Claude Lelouch à Deauville (Clavados) pour le festival du film américain, le 7 septembre 2019 (DANIEL FOURAY / MAXPPP)

Le réalisateur, producteur, scénariste, cadreur et passionné de cinéma, Claude Lelouch est l'invité exceptionnel du Monde d'Elodie toute cette semaine.

Celui que le cinéma n’a jamais quitté depuis ses sept ans, période pendant laquelle sa mère le plongeait dans les salles obscures pour échapper à la Gestapo, évoque ses souvenirs heureux et moins heureux.

Parmi ses 50 films, on remonte celui de sa vie avec : Un homme et une femme (1966), L’aventure, c’est l’aventure (1972), Les uns et les autres (1981), Itinéraire d’un enfant gâté (1988) et Roman de gare (2007). 

Claude Lelouch, après avoir été l’acteur principal de son père, cinéaste amateur, est devenu celui du documentaire de Philippe Azoulay sorti en mai 2022 : Tourner pour vivre.

franceinfo : Après plus de 50 films et cette fidélité que vous consacrez au cinéma, j’ai l’impression que vous ne serez jamais rassasié !

Claude Lelouch : Ça se digère bien le cinéma. Tous ces films que j’ai envie de revoir me permettent , comme je n’ai pas beaucoup de mémoire, de les redécouvrir. Je pense qu’il y a un millier de films merveilleux qui ont inventés le cinéma, qui ont inventés l’écriture cinématographique. Je pense qu’un jour un film sera tellement beau, tellement réussi que ce n’est pas dix pourcents de la population qui ira le voir, mais la terre entière. Donc, il y a encore 90% de spectateurs à aller chercher. Je crois au cinéma comme d’autres croient en Dieu.

Je voudrais qu'on aborde le titre du documentaire qui vous a été consacré par Philippe Azoulay : Tourner pour vivre. Est-ce que justement pour vous tourner, ce n'est pas tout simplement vivre ?

Tout simplement, c'est mon cœur. Je pense que le jour où je n'aurai plus envie de tourner, mon cœur s'arrêtera. C’est mon oxygène, c’est ma façon de respirer et tout ce qui se passe dans la vie, c’est des films. Le cinéma, c'est un art de compression. À un moment donné, il va falloir ramener à une heure et demie la vie d'un homme de 60 ans. Ceux qui filment un peu mieux que les autres sont des gens qui ont l'esprit de synthèse et qui savent aller à l'essentiel. C’est un peu mon cas. Le cinéma, c'est l'éternité. Parce qu'il y a sept milliards de personnes sur cette terre et c'est sept milliards de scénarios fantastiques. Il n'y a pas un scénario qui soit nul. Moi, je fais un film tous les jours. Cette curiosité alimente en permanence le scénariste.

Vous avez toujours pris soin d'offrir au spectateur ce sentiment de ne pas être au cinéma.

Si on reste spectateur, on s'ennuie. Regardez les gens qui vont à un match de football, j’ai envie de dire que la balle, c’est la Terre. On passe notre vie à envoyer la balle à droite, à gauche, à se l’échanger. Et à chaque coup de pied, les gens hurlent, sont excités, deviennent fous donc c’est un peu ça la vie, c’est tous ces coups de pied qu’on donne dans le ballon.

"Les films qui marchent sont des films où le spectateur, à un moment donné, cesse d’être spectateur et s'approprie un personnage en se disant : ’C'est ma vie’."

Claude Lelouch

à franceinfo

Tous ces films, vous en êtes propriétaire. Vous avez monté votre boîte de production très tôt. C’était important pour vous d’avoir cette indépendance ?

J’aurais bien aimé avoir, au départ, des producteurs, mais les trois, quatre premiers que je suis allé voir ne m’ont pas pris au sérieux et puis je me suis dit : s’il faut que je passe par ce genre de personnage, je ne vais pas pouvoir faire les films que j’ai dans la tête. Le destin a voulu que je sois aussi producteur pour avoir, justement, le "final cut" à chaque fois et essayer de faire ces films que des gens ont aimé. Je sais que ça en agacé certains.

Je voudrais qu'on parle de Roman de gare qui n'a pas forcément fonctionné, qui est arrivé après quatre films qui ont déstabilisé votre public. C'était un peu La vie devant soi, de Romain Gary. Vous avez eu envie d'épurer le scénario et j'ai l'impression que ce film a fait partie des piliers de votre vie et de votre parcours de cinéaste.

"J'ai essayé de faire croire que ‘Roman de gare’ n'était pas de Claude Lelouch et j'ai enfin entendu ce que j'avais envie d'entendre sur un de mes films."

Claude Lelouch

à franceinfo

Oui, alors, j'en avais un peu marre de tous ces spécialistes du cinéma qui, à chacun de mes films, ouvraient un tiroir, le tiroir "Claude Lelouch" et répétaient les mêmes choses. J'ai demandé à mon meilleur ami, Hervé Picard, d'endosser la paternité du film, ce qu'il a fait avec plaisir, d'autant qu'il n'y connaît rien au cinéma, il n'était pas gênant. Et j'ai fait ce film. C'est vrai que les gens sortaient de la projection, venaient me voir en disant : "Tu as trouvé un metteur en scène formidable, c'est extraordinaire". J'ai eu enfin de belles critiques et comme je n'ai pas voulu que le casse du siècle ait lieu, j'ai dit la vérité.

Quel est votre regard sur tout ce parcours ?

Si on m'avait fait lire le scénario de la vie de Claude Lelouch, j'aurais dit : non, là vous en faites trop, c'est impossible qu'un mec fasse 50 films dans ces conditions, avec des hauts et des bas, avec des ennemis qui sont là en permanence mais qui sont fidèles. J’espère pouvoir jouer les prolongations et je sais que je suis en train de faire mes derniers films. J'aimerais bien faire un film qui me donne envie d'arrêter.

Justement, c'est quoi la suite ?

Un voyage d'un homme qui frôle la folie parce que le monde d'aujourd'hui est en train de fabriquer des fous. Regardez tous ces hommes qu'on croise dans la rue qui parlent tout seul. Tous ces gens qui, aujourd'hui, n'arrivent plus à faire la synthèse de tous les cadeaux qu'on leur propose, de cette société qui leur a facilité la vie. La folie va donc être au cœur de ce prochain film. D'ailleurs, ça va s'appeler : La folie des sens. La folie peut nous sauver parce qu'on ne croit plus aux gens raisonnables.

Est-ce que le petit garçon de sept ans qui découvrait le cinéma dans les salles obscures pour fuir la Gestapo est fier de l'homme que vous êtes devenu ?

Comme je n'ai pas trop de mémoire... Je ne suis fâché avec personne. Si j'avais de la mémoire, je serais fâché avec la terre entière. Je suis né avec Alzheimer, j’ai la mémoire du présent. Une mémoire qui se souvient que de très belles choses, la vie est belle. Je suis jaloux de Blier, quand il a fait un film qui s’appelait Merci la vie parce que cela aurait dû être le titre de tous mes films.

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