Claude Lelouch : "Je suis un reporter de la vie, je suis un metteur en vie plus qu'un metteur en scène"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le réalisateur, producteur et scénariste, Claude Lelouch. Pour une fois, il passe devant la caméra dans un documentaire de Philippe Azoulay, "Tourner pour vivre".
Claude Lelouch est réalisateur, producteur, scénariste. Plus de 50 films lui collent à la peau dont certains lui ont valu de belles récompenses, mais aussi la reconnaissance de la part du public et de la critique, au niveau national comme international. Il a reçu l'Oscar du meilleur film étranger pour Un homme et une femme (1966), en plus de la Palme d'or décernée par le Festival de Cannes.
Pour l'écouter, le retrouver et le découvrir, Philippe Azoulay sort, ce mercredi 11 mai 2022, un documentaire Tourner pour vivre avec la participation de Jean Dujardin, Sandrine Bonnaire, Johnny Hallyday, Francis Lai, Quentin Tarantino, Jean-Louis Trintignant.
franceinfo : Ce titre, Tourner pour vivre vous définit-il ?
Claude Lelouch : Oui, le cinéma est un peu mon oxygène. On est tous cinéastes. Nos yeux sont la plus belle caméra du monde, nos oreilles, les plus beaux micros et notre mémoire, la plus belle salle de montage qu'on puisse imaginer puisqu'on coupe et on garde que ce qui reste à la fin. Le cinéma est un art naturel et je me suis nourri de cet art naturel dès ma plus tendre enfance. J'ai compris que ce serait un média avec lequel je pourrais partager ma curiosité qui est infernale.
C'est rigolo parce qu'habituellement, c'est vous qui filmez les autres et là, vous vous êtes retrouvé filmé, à répondre aux questions. Ça change la donne ? Ça permet aussi de faire un travail d'introspection ?
Oui. Quelque part, quand on m'a proposé de me filmer, je me suis dit : peut-être que je vais découvrir des choses.
Et alors ?
Je me suis aperçu que j'étais un peu fou quand même et qu'il fallait être un peu fou pour faire ce métier, qu'il ne fallait pas être dans le rationnel. L'irrationnel est quelque chose de très important, il nous dit qu'on est là pour très longtemps et que d'une vie à l'autre, on va être recyclés. Les messages de l'irrationnel me paraissent plus essentiels.
La plupart de mes films sont nés de décisions irrationnelles, plus que rationnelles, et c'est pour ça qu'ils ont connu ce qu'ils ont connu, à la fois des hauts et des bas.
Claude Lelouchà franceinfo
C'est vrai que c'est un voyage cinématographique inédit avec vous. Votre regard sur cette carrière, sur certains de vos films majeurs. Vous parlez sans retenue. Philippe Azoulay ouvre en disant : "Si Claude Lelouch est un nom au Panthéon du cinéma français, il n'en suscite pas moins la controverse. Il est parfois bien vu de le détester, de dire qu'il est mégalo, naïf, voire mièvre". Comment vous êtes-vous protégé dans tout ce parcours ?
Je pense qu'on a toute la vie le même âge. J'ai eu 18, 19 ans toute ma vie et j'ai un pouvoir d'émerveillement extraordinaire. Je n'en finit pas de m'émerveiller devant ce grand scénariste qu'est la vie avec lequel je travaille d'ailleurs. C'est mon scénariste préféré, en plus il ne demande pas à être au générique et ne coûte pas un rond. Il a tous les avantages. C'est vrai qu'il a une imagination absolument folle et c'est cet émerveillement qui fait que je me lève tous les matins très tôt et que j'essaie de me coucher le plus tard possible.
Ce documentaire débute quand vous décidez en 2012 de jouer les prolongations en réalisant trois films en trois ans. C'est une immersion dans votre processus de création et dans votre espace-temps. On a l'impression que la vie se réduit et que pour vous, elle augmente. Vous citez cette phrase de Jacques Brel : "Je n'ai jamais aussi bien vécu qu'en considérant que chaque jour pouvait être le dernier".
Je suis un adepte du présent, le cinéma filme le présent.
Claude Lelouchà franceinfo
Oui, c'est vrai que le jour où Jacques m'a annoncé qu'il allait partir bientôt, il m'a dit : "C'est depuis que je sais ça que j'apprécie enfin la vie et Dieu sait si j'ai été un jouisseur". Donc on passe à côté de notre vie parce qu'on pense qu'elle est éternelle. Et ce n'est pas vrai. Chaque seconde peut nous dire : "Stop". J'ai très vite pris conscience que le présent allait être la personne qui m'aime le plus et qui n'allait pas me décevoir. Dans le futur, on peut vous trahir.
Vous avez été trahi par moments ?
Oui, mais c'étaient de bonnes trahisons. Ça m'a permis d'apprendre des choses. Moi-même, j'ai trahi plein de gens. Je crois que la seule chose que je n'ai pas trahi, c'est le cinéma. Mais j'ai trahi mes enfants, j'ai trahi mes femmes, j'ai trahi certains copains parce qu'à un moment donné, je n'étais pas à la hauteur de ce qu'on me proposait. C'est comme dans mes films, il n'y a pas de super-héros ni de super-salaud. On a tous les qualités de nos défauts et puis j'aime bien filmer des gens qui sont un peu moins dégueulasses que les autres.
Dans Tourner pour vivre, on découvre aussi à quel point vous défendez le cinéma, votre cinéma et donc le cinéma d'auteur populaire.
Oui, parce que c'est un cinéma sans intermédiaire. J'ai beaucoup de respect pour tous les cinéastes du monde qui ont fait de beaux films, mais surtout pour les cinéastes qui parlent de choses qu'ils connaissent. Charlie Chaplin, Jacques Tati, Woody Allen... La liste est impressionnante de Sacha Guitry à Marcel Pagnol, il n'y a pas d'intermédiaire. Ils écrivent aussi leurs histoires et donc ils parlent de choses qu'ils connaissent de l'intérieur. Voilà, mes 50 films viennent de mes observations, viennent d'hommes et de femmes, de dialogues que j'ai entendu dans la rue, dans les cafés. Je suis un reporter de la vie, je suis un metteur en vie plus qu'un metteur en scène.
Fier de ce parcours ?
Oui. Je n'en ai pas honte. J'ai fait ce que je voulais, et je n'ai jamais fait de mal à personne. Enfin, à chaque fois que j'ai dit : je vais aller au bout de quelque chose, j'ai bien vérifié que ça ne ferait du mal à personne.
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