"Ça me terrorise" : comment Donald Trump s'est retrouvé à l’origine de sa série "9" de Marc Levy

Marc Levy est romancier depuis plus de 20 ans. Il est considéré comme l'écrivain français le plus lu dans le monde, avec plus de 50 millions d'exemplaires vendus, des traductions en 50 langues. Son succès a été immédiat après la parution de son premier roman, Et si c'était vrai…, en 2000. Celui-ci a été tel qu'il a démissionné du cabinet d'architecture dans lequel il travaillait, pour se consacrer pleinement à l'écriture. Il a continué à explorer les âmes humaines, les relations homme-femme, le couple, l'amour. Il y a eu Où es-tu ? en 2001, Sept jours pour une éternité... en 2003, Vous revoir en 2005, qui était d'ailleurs la suite de Et si c'était vrai..., Mes amis, mes amours en 2006. Marc Levy vient de publier Éteignez tout et la vie s'allume aux Éditions Robert Laffont Versilio.

franceinfo : Les mots vous ont permis de vous construire, de nous raconter des histoires, vos histoires. Est-ce que les mots vous ont permis de vous soulager ?

Marc Levy : L'écriture a été pour moi un moyen de coucher sur le papier ce que je n'arrivais pas à formuler à haute voix. Mais je crois que c'est vrai pour beaucoup de formes d'expression.

"On ne s'exprime pas que par les mots. Moi, quand j'étais enfant, je me suis mis au piano. Mon piano était mon meilleur ami. Ma mère savait quand je rentrais de l'école comment s'était passé ma journée à la façon dont je jouais et selon le morceau que je jouais."

Marc Levy

à franceinfo

Ce n'est pas un hasard d'ailleurs que vous ayez écrit des chansons pour les autres...

Je n'en ai pas écrit beaucoup. J'en ai trois qui ont été interprétées par Jenifer, Grégory Lemarchal et Johnny Hallyday. C'est un travail magique. J'adore faire ça. C'est très compliqué. Enfin, c'est à la fois magique et compliqué. Quand vous écrivez un roman, vous avez 300, 400 pages pour raconter une histoire. Quand vous écrivez une chanson, il faut la raconter en 12 lignes. Et une chanson qui raconte une histoire, c'est quand même très différent. Vous voyez quand vous écoutez des chansons de Benjamin Biolay, de Reggiani, de Brel, de Barbara, ce sont des chansons qui vous racontent une histoire.

En 2020, vous allez créer la surprise avec la sortie du tome 1, C'est arrivé la nuit, d'une trilogie qui va faire couler beaucoup d'encre. Suivront Le Crépuscule des fauves et Noa, trois tomes pour la série 9. Cette série raconte l'histoire de neuf hors-la-loi qui œuvrent pour le bien. C'est surtout une réflexion sur le monde que vous avez menée comme un reporter. Qu'est-ce qui a déclenché ce travail si différent de ce que vous nous aviez proposé jusqu'alors ?

C'est différent et ça ne l'est pas ! Ce roman est une continuité des Enfants de la liberté. Et c'est drôle parce que quand j'ai commencé à parler des protagonistes, tout le monde s'est focalisé sur le fait qu'ils étaient hors-la-loi et hackers. Mais c'est exactement ce qu'étaient les résistants de la 35ᵉ brigade. Quand vous étiez résistants en 1940, 1941, 1942, 1943, vous étiez hors-la-loi et vous étiez un hacker avec des moyens différents, mais vous étiez dans la Résistance. Alors c'est un roman qui naît au moment où la démocratie américaine vacille, Trump vient d'arriver au pouvoir. Très vite, le pouvoir est corrompu. Moi, j'habite là-bas, c'est un pays qui me passionne. J'y ai consacré une grande partie de ma vie, j'y travaille et je vois très vite sur le terrain la volonté d'installation d'un régime autocratique... D'ailleurs, Trump le dit sans détour un jour en parlant des Chinois : "En Chine, c'est formidable, ils ont un président qui n'a pas à être réélu". Et il dit à la presse : "Un jour, on y arrivera, vous verrez, on va y arriver, on va y arriver". Ça me terrorise parce que je me retrouve en tant qu’Américain aussi dans la peau d'un Allemand démocrate en 1935 en Allemagne, qui voit le nazisme arriver et qui essaye de raconter ça autour de lui et personne ne veut l'entendre. Et donc je me mets à enquêter parce que ça me passionne et que c'est aussi une façon de lutter contre l'angoisse, contre la peur de ce qui est en train de s'installer.

Vous avez rencontré les vrais protagonistes, des hors-la-loi qui œuvrent pour les autres, des manipulateurs aussi, des faussaires, des assassins en col blanc...

Oui, parce que quand on parle de corruption du pouvoir, par exemple, Trump, très peu de temps après son arrivée, nomme à la tête de l'Agence pour la protection de l'environnement un homme qui a été l'avocat des conglomérats pétroliers. Je sais que ça fait rire en France, mais c'est une réalité. Donc vous voyez ça et vous vous dites : "Ce n'est pas possible !". Et puis, très vite, l'enquête se répand et les neufs vont faire une découverte aussi grave, c'est qu'un certain nombre d'oligarques de différents pays sont en train de s'entendre pour mettre au point un projet qui a pour but de déconstruire les démocraties du monde. Aux Etats-Unis, c'est en cours, en Chine, c'est fait, en Russie, c'est fait et reste l'Europe. La stratégie, c'est, premièrement, d'isoler l'Angleterre du reste de l'Europe pour l'affaiblir et deuxièmement de provoquer une crise migratoire massive en Europe pour déstabiliser les gouvernances européennes et ensuite ça va se terminer par une certaine invasion des pays du bloc de l'Est qu'il faut ramener dans le giron de l'Est. Alors ça, c'est un travail d'enquête fabuleux et qui a fait que le tome 3 est sorti quelques semaines avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Ce techno-thriller est aussi une façon de rendre hommage à ces hommes et ces femmes de l'ombre qui œuvrent et qui, malheureusement, sont pour la plupart menacés d'être soit emprisonnés, soit pour certains tués.

"Toute la génération actuelle considérait que la démocratie était un acquis parce que la Seconde Guerre mondiale était beaucoup trop lointaine pour qu'on puisse penser autrement. Et tout à coup, l'agression de Poutine réveille toutes les consciences et moi, ça, ça m'a rendu au contraire très heureux. C'est un vrai réveil des consciences."

Marc Levy

à franceinfo

En fait, je crois que c'est pour donner envie d'entrer en résistance et pour raconter que finalement, chacun a un rôle à jouer et que la résistance n'est pas vaine. D'ailleurs, la preuve, ce qui s'est passé en Ukraine, malgré toute la désinformation, malgré toutes les tentatives de déstabilisation, alors que Poutine était convaincu que les démocraties européennes allaient se coucher, qu'il n'y aurait pas d'union, qu'il n'y aurait pas de résistance démocratique, il a perdu sur tous les fronts et notamment sur celui-là.