Violences contre les élus : l'inquiétante situation en Pologne et en Allemagne

L'attaque du Premier ministre slovaque, gravement blessé par balles le 15 mai, a particulièrement ému la classe politique, notamment en Pologne et en Allemagne, où les violences et les menaces de mort se sont significativement intensifiées. Explications de nos correspondants.
Article rédigé par franceinfo, Nathalie Versieux - Martin Chabal
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Affiche électorale montrant les principaux candidats du Parti social-démocrate allemand SPD, dont Matthias Ecke, violemment agressé le 3 mai alors qu'il collait des affiches. (JENS SCHLUETER / AFP)

L’attaque contre le Premier ministre slovaque Robert Fico, mercredi 15 mai 2024, a particulièrement inquiété en Pologne où la scène politique est de plus en plus polarisée et violente. Il faut dire qu'après les années au pouvoir du parti d'extrême droite - battu aux dernières législatives de décembre 2023, la violence s'est installée dans les discours.

En Allemagne, le nombre des agressions contre les politiques a fortement augmenté en 2023 et les statistiques sont alarmantes. Au tel point que pour coller des affiches en vue des Européennes, des consignes préconisent de le faire en plein jour et en groupe d'au moins quatre personnes.

En Pologne, des débats de plus en plus polarisés

C’est d’abord l’émotion qui s’est emparée de la Pologne après l’attaque contre le Premier ministre slovaque. Le Premier ministre Donald Tusk s’est rapidement exprimé sur le réseau social X, mais le moment de recueillement a été court. Sur Internet, le chef du gouvernement polonais a vite reçu des menaces de mort, des messages devenus malheureusement courants ces dernières années, alors que le débat politique s’est de plus en plus polarisé. La dernière campagne pour les législatives, qui a vu la victoire du candidat du centre droit en décembre 2023, est d'ailleurs symbolique de cette montée en violence des discours politiques. Les joutes verbales se sont déchaînées sur les réseaux sociaux. Les personnalités politiques des deux camps se sont insultées par tweets interposés, se traitant le plus souvent d’anti-polonais, de pro-russe, ou bien de traîtres à la solde des Allemands.

Un rapport de 30 pages a été publié par une association contre les discours de haine. Antisémitisme, homophobie, xénophobie, déclarations anti-ukrainiennes, les mots peuvent être choquants. Dans un échange avec un journaliste, un des candidats du parti d’extrême droite Konfederacja, Dobromir Sośnierz, s’opposait à l’accueil des réfugiés par l’UE en mer Méditerranée dans ces termes : "Le garde-frontière devrait tirer en l’air pour les faire partir. Mais il faut leur tirer dessus si nécessaire." Et lorsque le journaliste demande s'il tirerait sur les femmes et les enfants, le candidat répond : "Oui, je tirerais sur les femmes et les enfants aussi. Pourquoi les femmes devraient être exclues ? On parle d’égalité, si une femme enfreint la loi, on doit la traiter comme un homme."

Des discours de haine devenus la norme

L’arrivée de Konfederacja sur l’échiquier politique, considéré comme encore plus extrême que le parti Droit et Justice (PiS), a ainsi polarisé un peu plus les discours et les idées. Il faut dire que pendant les 8 ans de gouvernement du PiS, les discours de haine sont peu à peu devenus la norme dans le pays.

Toute cette violence verbale, qui s’est peu à peu banalisée, se transforme parfois en violence physique, comme en 2019. Lors d’un grand concert caritatif de Noël, Paweł Adamowicz, le maire de la grande ville de Gdansk, dans le nord du pays, s’est fait poignarder à mort sur scène. L'assassin a dit avoir tué le maire, car le gouvernement de Donald Tusk, déjà en poste juste avant l’arrivée du PiS au pouvoir, l’avait mis en prison, où il dit avoir été torturé.

En Allemagne, les délits contre les élus ont presque doublé en 2023

En Allemagne, les statistiques officielles publiées mardi 21 mai 2024, ont dénombré 3 700 infractions à l’égard de politiciens en 2023, dont 80 actes de violence. Ce sont 15 agressions de plus en un an, et 1 700 délits de plus qu’en 2022. La violente attaque début mai du député européen Matthias Ecke a profondément choqué en Allemagne. Le social-démocrate a été brutalement agressé alors qu’il posait des affiches pour les élections européennes, par un groupe de quatre jeunes proches de l’extrême droite. Ceux-ci s’en étaient pris quelques heures plus tôt à un candidat Vert.

D’autres cas avaient auparavant également fait couler beaucoup d’encre. Le plan de tentative d’enlèvement du ministre de la Santé, par des opposants à la vaccination, ou encore ce groupe d’agriculteurs et de partisans du parti d’extrême droite AfD, armés de fourches, qui voulaient s’en prendre au ministre Vert de l’Économie à son retour de vacances. Le pays reste aussi marqué par l'assassinat du préfet Lübcke, en 2019, tué par balle chez lui par un néonazi, en raison de la position favorable de l'élu à l'accueil des migrants.

Des intimidations qui poussent certains à se retirer de la politique

Les délits touchent en masse les élus locaux. Incendies criminels, menaces de mort, croix gammées taguées sur les murs, agressions d’une élue au supermarché, la présidente du Bundestag a vivement dénoncé ces actes devant le Parlement : "Notre démocratie libérale perd lorsque des personnes engagées politiquement se retirent, par peur. Les personnes qui collent des affiches électorales aujourd’hui, ou qui tiennent des stands d’information, sont exposées à la colère et à la haine, parfois jusqu’à l’agression physique. Les élus locaux sont souvent confrontés à des tentatives d’intimidation, pouvant aller jusqu’à des menaces de mort. La conséquence est que certaines communes ne trouvent plus de maire." La plupart des partis ont donné à leurs supporters de nouvelles consignes pour la campagne des Européennes : coller les affiches de jour, et toujours en groupe d’au moins quatre personnes.

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