Israël-Palestine : comment les violences sont-elles perçues dans le monde musulman ?
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, on observe comment les pays du Golfe, la Turquie et la Malaise jugent les violences à Gaza et en Israël.
L'offensive de la communauté internationale s'intensifie pour tenter de faire cesser les bombardements de l'armée israélienne sur Gaza et les salves de roquettes palestiniennes sur Israël, sans signe d'accalmie après une semaine meurtrière. Dans ce contexte, comment le monde musulman voit-il le conflit israélo-palestinien ?
Dans le Golfe, populations et gouvernements pas sur la même ligne
Dans les monarchies du Golfe, il y a les populations d’un côté et les dirigeants de l’autre. D'une part, la population reste très solidaire des Palestiniens. Cela ne se voit pas dans des manifestations dans la rue, ce n’est pas la tradition de ces pays autoritaires, mais ça se voit dans certains médias et sur les réseaux sociaux, avec des prises de position ou des mots clés très clairs. Par exemple "Gaza attaqué", "Libérer la Palestine" ou encore "Gaza résiste". Les vidéos de bombardements sur Gaza sont également massivement relayées, tout comme les images de l’intervention de la police israélienne à Jérusalem, à la mosquée Al Aqsa. C’est le troisième lieu saint de l'islam, il a une place spéciale dans le cœur des musulmans, en particulier du Golfe. Y voir des policiers israéliens a beaucoup ému, a beaucoup alimenté cette solidarité avec les Palestiniens.
Du côté des dirigeants en revanche, c’est plus compliqué, notamment à cause du rapprochement de plusieurs monarchies avec Israël l’année dernière. Barheïn et les Émirats arabes unis, qui ont normalisé leurs relations. L’Arabie Saoudite n’a pas franchi le pas, mais presque. Ce virage historique, à 180°, justifié par un ennemi commun, l’Iran, met ces pays en porte-à-faux avec leur population. Cela donne de l’embarras et des réactions autrement plus mesurées que par le passé.
Condamnation d’Israël pour les violences à Jérusalem, pour sa politique de colonisation, d’expulsions des Palestiniens, mais condamnation aussi du Hamas palestinien, pour ses tirs réalisés de Gaza, qui ont alimenté l’escalade. À l'opposé de ces pays, il y a le Qatar, qui n’a pas normalisé avec Israël, avec sa chaîne de télévision Al Jazeera, numéro 1 dans le monde arabe et notoirement pro-palestinienne, et avec enfin le chef du Hamas réfugié à Doha.
En Turquie, la solidarité avec les Palestiniens comme outil politique
En Turquie, Recep Tayyip Erdogan se pose une fois de plus en grand défenseur de la cause palestinienne. Depuis la reprise des affrontements, le président turc multiplie les discours anti-Israël et les entretiens téléphoniques avec des dirigeants et des dignitaires étrangers, tel que le pape François lundi. Il affirme vouloir "mobiliser" le monde – notamment le monde musulman – pour défendre les Palestiniens.
Mais le président turc soigne aussi son image. Cela n’a rien d’étonnant, le conflit israélo-palestinien est le sujet de prédilection de Recep Tayyip Erdogan sur la scène internationale. Un sujet qui était déjà central dans sa jeunesse militante et qui lui permet aujourd’hui, après 18 années de pouvoir, de revendiquer un leadership dans le monde musulman sunnite. C’est d’autant plus à son avantage que la cause palestinienne est l’une des rares – si ce n’est la seule – à faire l’unanimité dans la population et dans la classe politique turques.
Recep Tayyip Erdogan ne cesse donc de décrire Israël comme un État "terroriste" et de dénoncer le "silence" d’autres pays, en particulier de pays arabes. Mais au-delà de ce soutien politique, moral et humanitaire aux Palestiniens et à tous leurs représentants – Hamas compris – le chef de l’État turc dispose en réalité de très peu de leviers pour agir sur ce conflit et la diplomatie turque a rapidement montré ses limites.
D'autant que les relations entre la Turquie et Israël n’ont cessé de se dégrader ces douze dernières années. La Turquie, qui fut le premier État à majorité musulmane à reconnaître Israël en 1948 et a entretenu pendant des décennies des relations étroites avec les autorités israéliennes, n’est plus du tout en position de jouer les médiateurs, comme cela avait encore été le cas en 2009 lors d’une précédente offensive sur Gaza. C'est d'ailleurs après cet épisode que Recep Tayyip Erdogan a commencé à imposer son image de "champion" de la cause palestinienne. Depuis, les relations turco-israéliennes sont allées de crise en crise, Ankara n’a plus d’ambassadeur à Tel Aviv et vice versa. Ces derniers mois, pourtant, les services de renseignement des deux pays avaient eu des échanges pour tenter de renouer le dialogue. Les événements des derniers jours vont certainement geler ces efforts pour l’instant.
En Malaisie, des relations glaciales avec Israël
En Asie du sud-est, l'Indonésie, la Malaisie et le Brunei, trois pays à majorité musulmane, ont unanimement condamné dans un communiqué les "agressions flagrantes et répétées (...) visant les civils dans l'ensemble du territoire palestinien occupé". Le nom Israël n’est jamais évoqué, car ces trois pays n’ont jamais reconnu ou entretenu de relations diplomatiques avec le pays. C'est un nom qu’on évite souvent de prononcer. Dernier exemple en date, pour faire la promotion des vaccins contre le Covid-19, la Malaisie a cité la politique sanitaire ambitieuse israélienne dans son dossier de presse, mais sans écrire "Israël", il était question plutôt d’un "certain pays", qui avait déjà vacciné 600 000 personnes.
Pourtant, il y a bien un endroit où le nom d’Israël est écrit en Malaisie : c'est sur la première page des passeports, où l'on peut lire que ce document est "valide dans tous les pays excepté en Israël". Si un Malaisien veut donc se rendre à Jérusalem, il lui faut l’autorisation spéciales des deux pays et des raisons bien valables, souvent des pèlerinages. Et réciproquement, les détenteurs d’un passeport israélien qui ont pu entrer en Malaisie pourraient presque se compter sur les doigts d’une main. En 2019, les championnats du monde de natation paralympique devaient avoir lieu à Bornéo, mais comme les athlètes israéliens n’étaient pas admissibles dans le pays, la compétition a été relocalisée à Londres.
En Indonésie aussi, la condamnation d’Israël est constante et unanime. L'administration Trump avait essayé de faire reconnaitre le pays contre un soutien financier, en vain. L’Indonésie est certes moins virulente que son voisin malaisien, où l’antisémitisme a pu surgir chez d’anciens premiers ministres qui condamnaient Israël, mais la question reste toujours brûlante. En 2018 par exemple, l’Indonésie avait interdit aux touristes israélien d’entrer pour condamner des frappes sur Gaza, Israël l’avait en retour imité.
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