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Guerre en Ukraine : la Turquie et la Serbie, deux pays à l'attitude ambigüe avec la Russie

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction la Turquie et la Serbie, deux pays qui restent prudents vis-à-vis de l'invasion russe en Ukraine, contrairement aux autres pays en Europe ou de l'Otan.

Article rédigé par franceinfo
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Le président russe, Vladimir Poutine (à gauche), et Recep Tayyip Erdogan, président turque, lors d'une rencontre à Téhéran le 7 septembre 2018. Photo d'illustration. (HO / TURKISH PRESIDENCY PRESS OFFICE / AFP)

L'Union européenne a dévoilé, dimanche 27 février, une série de nouvelles sanctions contre la Russie comme la fermeture de l'espace aérien, ou l’interdiction de médias russes. L’UE a aussi annoncé pour la première fois la livraison d'armes à l’Ukraine. Des mesures pour punir Moscou après l’invasion des troupes armées en Ukraine mais tous les pays en Europe ou de l’Otan n'ont pas pris de telles dispositions, direction la Turquie et la Serbie.

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La prudence de la Turquie

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine met la Turquie, un autre État voisin de la mer Noire, dans une position difficile. Le pays de Recep Tayyip Erdogan a fermement condamné l’attaque russe, mais refuse d’infliger la moindre sanction à Moscou. Mais pour la première fois, dimanche 27 février, la Turquie a fait une déclaration dont les effets vont déplaire à la Russie : elle a enfin reconnu "l’état de guerre" entre la Russie et l’Ukraine, et annoncé qu’elle allait appliquer à la lettre la convention de Montreux. Cette convention est un accord international de 1936 qui régit la circulation dans les détroits des Dardanelles et du Bosphore, situés entre la mer Méditerranée et la mer Noire. En résumé, cet accord dit qu’en temps de guerre les navires des puissances belligérantes n’ont pas le droit de circuler dans les détroits, sauf s’il s’agit pour eux de regagner leur port d’attache. C’est à la Turquie que revient le contrôle de ces voies stratégiques.

Avec cette annonce, la Turquie se déclare donc légitime pour empêcher des navires de guerre russes d’accéder à la mer Noire, comme le réclamait l’Ukraine. À court terme, une telle mesure ne réduira pas significativement la force de frappe de la Russie, qui avait déjà renforcé sa flotte en mer Noire avant d’attaquer l’Ukraine. Symboliquement, toutefois, c’est la première fois depuis le début de la guerre que la Turquie agit contre la Russie. Ce n’est pas anodin pour la Turquie, qui est certes membre de l’Otan et partenaire de l’Ukraine, mais qui a aussi noué des relations étroites avec la Russie de Vladimir Poutine. C’est ce qui explique l’attitude prudente de la Turquie depuis le début du conflit. Avec, d’un côté, des condamnations fermes de l’attaque russe. Mais de l’autre, la volonté de maintenir le dialogue avec Moscou. La Turquie s’est par exemple abstenue lors du vote au Conseil de l’Europe qui a suspendu les droits de représentation de la Russie, et elle refuse catégoriquement de se joindre aux sanctions occidentales. En fait, Ankara joue aux équilibristes pour préserver ses liens économiques, énergétiques, diplomatiques avec la Russie, tout en affichant son soutien à l’Ukraine, avec laquelle elle a aussi des liens étroits. Par exemple, ces dernières années, Ankara a vendu à Kiev une vingtaine de drones de combat qui sont aujourd’hui utilisés contre des cibles russes en Ukraine.

La Turquie espère en tout cas ne pas avoir à faire un choix stratégique entre l’Ukraine et la Russie, entre l’Occident et la Russie. Or, justement, la guerre en Ukraine met la politique étrangère turque face à ses limites et à ses contradictions. Le fait est que la Turquie est membre d’une alliance, membre de l’Otan, donc contrainte par sa position géopolitique, et qu’il lui est de plus en plus difficile de prétendre occuper ainsi une position médiane entre deux pays en guerre.

L’étrange entre-deux de la Serbie

Parmi les pays qui prennent des gants avec Vladimir Poutine, se trouve notamment la Serbie. Le président Serbe Aleksandar Vucic entretient depuis de longues années de très bonnes relations avec la Russie. Vladimir Poutine s'est rendu souvent à Belgrade et Vucic a fait de même à Moscou. Pourtant personne en Serbie comme ailleurs n'attendait la guerre en Ukraine. Après l’invasion russe, la première réaction officielle serbe avait été d'annoncer un délai de 48 heures, pour gagner du temps. Trois réunions du conseil national de sécurité de Serbie plus tard, le président avait annoncé une position toute en nuances. Le but est de ne surtout ne pas fâcher Moscou, avec qui les relations politiques et commerciales sont au beau fixe, ni fâcher les Européens avec qui les relations, bien que s'étant un peu rafraîchies, sont quand même bonnes. La Serbie ne prend donc aucune sanction contre aucun pays, c'est écrit noir sur blanc, au motif que c'est contraire à l’intérêt vital du pays. Le mot Russie n'est même pas écrit dans la décision, mais une aide humanitaire est annoncée pour l'Ukraine.

Le président russe Vladimir Poutine (à droite) rencontre son homologue serbe Aleksandar Vucic à Sotchi, le 25 novembre 2021. (MIKHAIL KLIMENTYEV / SPUTNIK)

Un étrange entre-deux mais il ne faut pas oublier que la Serbie avait été bombardée par l'Otan en 1999, à cause d'une région séparatiste : le Kosovo. Par ailleurs, l’indépendance du Kosovo pose des questions de droit international similaires à celle qui se posent en Ukraine, et qui sont justement dénoncées par les Occidentaux ces jours-ci. Ainsi Aleksandar Vucic rappelle que le Kosovo n'est pas, aux yeux des Nations unies, un pays indépendant. Il rappelle aussi que la Russie a toujours soutenu la Serbie dans sa non-reconnaissance du Kosovo. Pour cette même raison, la Serbie reconnaît l'intégrité territoriale de l'Ukraine, Crimée comprise, ce qui laisse Vladimir Poutine indifférent.

Il y a aussi des raisons économiques à la neutralité serbe : Belgrade achète à prix très préférentiel le gaz russe qui est indispensable à son économie. Il n’est pas question de jouer la carte de la hausse des prix alors que l'inflation atteint déjà 8%. Les élections générales serbes, en avril entrent aussi en ligne de compte. Le président Serbe, Alexandre Vucic sait qu'une forte partie de la population est prorusse. Ces électeurs apprécient l'attitude amicale de Vucic envers Poutine, car les deux hommes se connaissent bien. Le président Serbe ne peut pas se permettre de s’aliéner cette partie de son électorat alors que sa popularité baisse. 

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