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Attentat d'Istanbul : la riposte de la Turquie menace le Kurdistan syrien

Une semaine après l'attentat d'Istanbul, la Turquie a lancé ce week-end l'opération baptisée "Griffe Epée". Des raids qui ravivent des souvenirs douloureux au Kurdistan syrien. 

Article rédigé par franceinfo - Marie-Pierre Verot - Noé Pignède
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Les funérailles des morts dans les raids trucs sur le Kurdistan syrien, au nord de la Syrie, le 21 novembre 2022. (GIHAD DARWISH / AFP)

La Turquie riposte, une semaine après l’attentat d’Istanbul qui a fait six morts et plus de 80 blessés, le 13 novembre 2022. Elle a lancé ce week-end l’opération "Griffe Epée", une campagne de bombardements aériens sur le nord de la Syrie et de l’Irak contre les bases du PKK, qu’elle accuse d’avoir commandité l’attentat. Des frappes qui ont fait ressurgir les souvenirs d'une précédente opération turque au Kurdistan syrien. 

La Turquie compte aller plus loin

Les raids turcs dans la nuit de samedi 19 au dimanche 20 novembre sur la Syrie et l'Irak ont fait plus de 30 morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Des tirs de roquettes sur le sol turc, en représailles, ont fait trois morts et plusieurs dizaines de blessés.

On peut redouter une intensification des violences, c'est en tout cas ce qu’a laissé entendre le président turc Recep Tayyip Erdogan. Dans l’avion qui le ramenait du Qatar, il a déclaré aux journalistes qu’il était hors de question que cette campagne se limite à une simple campagne aérienne. L’offensive terrestre tant redoutée serait donc bien la prochaine étape. L’état-major turc et le ministère de la Défense en discutent actuellement. Mais pour cela, la Turquie doit lever les oppositions américaine et russe dont les forces sont présentes dans la région. Or, depuis mai dernier, le président turc plaide en vain pour avoir les mains libres et prendre le contrôle de la poche autour de Kobané, cette grande ville kurde du nord est de la Syrie, symbole de la lutte contre l’Etat islamique.

Pour comprendre l'intérêt de la Turquie, il suffit de regarder une carte. Kobane est le caillou qui empêche Recep Tayyip Erdogan de réaliser son dessein. Il souhaite sécuriser un corridor d’une trentaine de kilomètres de large dans le nord-est de la Syrie, le long de sa frontière, allant depuis Afrin à l’ouest jusqu’à Ras al-Ayn. Et la zone autour de Kobane est la seule que la Turquie ne contrôle pas. Si ce verrou saute, le président Erdogan aura tout loisir d’y réinstaller les réfugiés Syriens. Ils sont plus de trois millions en Turquie et leur présence, qui était censée être provisoire, pèse sur la population alors que le pays se débat dans une grave crise économique. L’idée est donc de les renvoyer chez eux en les installant dans des maisons que la Turquie construit dans toute cette région. Les réfugiés syriens constituent un enjeu électoral de taille. L’opposition a déjà promis de tous les expulser si elle l’emporte. Recep Tayyip Erdogan souhaite donc lui couper l’herbe sous le pied, en organisant lui-même dès que possible ces rapatriements. Le temps presse : les élections présidentielle et législatives sont dans moins de sept mois.

>> Attentat d'Istanbul : "À l’approche des élections, nous nous attendions à ce genre de situation", confient des habitants

La cible de ces frappes reste bien le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Le président turc et son ministre de la Défense ne sont pas privés, dimanche 20 novembre, de rappeler que la Turquie allait venger les morts de la rue Istiqlal à Istanbul. Le président Erdogan rêve de défaire la guérilla kurde et d’éliminer ce qui est considéré comme une menace récurrente. Même s’il a farouchement nié tout lien avec l’acte terroriste d’Istanbul, le PKK a revendiqué par le passé des attentats sur le sol turc. Pour justifier son opération la Turquie a d’ailleurs invoqué l’article 51 de la charte des nations unies sur la légitime défense.

Au Kurdistan syrien, le mauvais souvenir de 2019

Il y a trois ans déjà, les Kurdes de Syrie faisaient face à une opération de l’armée turque. Pour comprendre le traumatisme que réveille cette nouvelle offensive chez les Kurdes syriens, il faut revenir en octobre 2019. À l’époque, nous sommes quelques mois seulement après la défaite territoriale de Daesh en Syrie, défaite à laquelle les milices kurdo-arabes des Forces démocratiques syriennes ont largement contribué. Elles ont combattu les jihadistes au sol, avec le soutien de la coalition internationale. Sans elles, le califat autoproclamé n’aurait pas été vaincu. 

Mais quelques mois plus tard, c’est la douche froide pour les Kurdes : leur allié Donald Trump annonce le retrait des troupes américaines de Syrie. Il laisse mécaniquement le champ libre à Recep Tayyip Erdogan pour attaquer la zone frontalière. En une vingtaine de jours, la Turquie et ses mercenaires syriens envahissent un territoire de 120 kilomètres de long, et de 30 kilomètres de profondeur. C’est une défaite cinglante pour les Kurdes, contraints d’appeler Bachar al-Assad à la rescousse. Ils abandonnent le contrôle de cette zone frontalière, sa sécurisation est depuis assurée par des patrouilles russes, turques et américaines.

Alors que les grandes puissances étrangères se partagent le contrôle de la région, sans prendre en compte la population syrienne qui y vit, les civiles kurdes et arabes fuient massivement la zone. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’offensive turque de 2019 a poussé 300 000 personnes sur les routes. Beaucoup de déplacés racontent les pillages, les crimes et les exactions des milices à dominance islamiste qui occupent leur région. Les autorités kurdes accusent alors la Turquie de se livrer à un nettoyage ethnique car, historiquement, sur cette bande de terre, cohabitent des Kurdes, des Arabes, et des minorités chrétiennes. La Turquie renverse l’équilibre démographique de la zone, en y installant massivement des réfugiés arabes.

C’est à nouveau la peur de beaucoup de Kurdes syriens aujourd’hui, si la Turquie venait à s’emparer de la ville de Kobané, symbole ultime, donc, de la résistance de leur peuple face à Daesh.

L’autre crainte brandie par les Kurdes, et qui a peut-être plus de chance de faire réagir les Occidentaux, c’est la menace sécuritaire : les forces kurdes détiennent des milliers de jihadistes de Daesh dans leurs prisons, dont une soixantaine d’hommes français. Ces terroristes pourraient profiter de l’affaiblissement des Kurdes et du chaos sécuritaire pour s’évader.

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