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Témoignages
La guerre en Ukraine vue par les enfants du pays : "Ça fait peur quand on te réveille dans la nuit"

Dix millions d'Ukrainiens ont dû fuir leurs foyers depuis le début de l'invasion russe, dont une très grande majorité de femmes avec enfants. De petits Ukrainiens dont certains se sont confiés à franceinfo. Ils parlent de leurs vie d'avant, des combats et des gens qu'ils aiment.

Article rédigé par franceinfo, Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Vika, Ukrainienne originaire de la région de Donetsk, vient d'arriver en gare de Lviv. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Ils ressemblent à de petits cosmonautes avec leur combinaison de ski, leurs bonnets à pompon. Dans cette Ukraine en guerre, les enfants sont toujours emmitouflés de la tête aux pieds, à l'image de Marta, cinq ans, qui a encore son manteau sur le dos quand elle arrive de Kiev avec sa maman Natalia. La fillette aux deux couettes tenues par des élastiques oranges a pu mettre quelques jouets dans la valise : "J’ai pris Bambi, un chien et deux poupées. Ils sont dans la voiture."

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Depuis le début de l'invasion russe, dix millions de personnes ont été déplacées en Ukraine, soit plus du quart de la population, selon le Haut Commissaire des Nations unies aux réfugiés. D'après le HCR, 90% de ces exilés sont des femmes et des enfants, les hommes entre 18 et 60 ans pouvant être mobilisés sur le front.

Un papa bientôt appelé à combattre

Un bénévole du grand stade à la sortie de Lviv, l’un des 500 points d’accueil des réfugiés, a offert à Marta une nouvelle peluche, un tigre qu’elle caresse en nous racontant les yeux plein de malice ce qu’est la guerre pour elle : "Ça veut dire que les Russes nous ont attaqués. Comme dans un jeu que ma mère m’a donné où il y a des tortues méchantes qui ont attaqué les petits lièvres". Une image enfantine qui coexiste avec une autre réalité : le départ imminent de son papa. Il partira bientôt se battre sur le front et la séparation angoisse Marta et sa maman.

Marta, 5 ans, et sa maman Natalia, originaire de Kiev (Ukraine). (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Des images, Youri, 8 ans, espiègle et volubile, en a plein la tête. Il se souvient du premier jour de la guerre dans son petit appartement : "Le premier jour à cinq heures quand ça a commencé à péter, ça fait peur quand on te réveille dans la nuit et il faut vite préparer tes affaires pour s’enfuir si nécessaire."

"J’aimerais devenir sniper et tuer Poutine pour que la guerre se termine."

Youri, 8 ans, a fui Kiev

à franceinfo

Tout en parlant, Youri couve du regard Katia, sa mère. Les ongles rongés de ses petites mains tremblantes montrent que cette mère de famille est au bord du gouffre. Mais elle serre les dents pour son fils unique. Youri poursuit : "J’ai un ami qui me manque, Kirill, ce voyou, il a un super pistolet qui ressemble à un vrai, quand j’ai vu ça, on est tout de suite devenu copains, lui me manque mais sinon l’école pas trop. Je n’ai plus de contact avec lui, j’espère qu’il est à Kiev et en sécurité. Mais sa mère est très riche alors, à mon avis, peut-être qu’ils ont pu partir quelque part à l’étranger." Youri avoue qu'il a pleuré en laissant dans l’appartement un chat qu'il aimait beaucoup.

Des vidéos violentes

La guerre, c’est aussi pour ces enfants renoncer à leur vie d’avant, raconte Vika. Elle vient tout juste d’arriver de la région de Donetsk après un long périple en train. La petite fille a l’air perdue au milieu des autres enfants qui sautent d’un matelas à l’autre dans l’un des halls d’attente de la gare de Lviv où une bénévole joue du violon. Vika explique : "Ça s’est bien passé. On était dix dans le même compartiment. On a entendu des bombes, même la table dans notre compartiment tremblait, je n’ai pas eu peur." La petite fille pense à tout ce que la guerre lui a pris, les promenades qu’elles adorent, et le confort douillet de sa maison.

"J’aime aussi ma petite table dans ma chambre où je fais mes devoirs, il y a mon petit lit, le grand lit des parents, on est très bien là-bas mais quand il n’y a pas la guerre".

Vika, originaire de la région de Donetsk

à franceinfo

Certains enfants ukrainiens ont pu reprendre les cours en ligne, ce qui les aide à supporter le tumulte. Mais pas pour Lehor, 10 ans. Il suit sans conviction son cours de mathématiques devant son ordinateur, son esprit est ailleurs : "Je ne peux pas communiquer comme d’habitude avec mes amis parce que certains restent tout le temps dans les sous-sols, d’autres se sont fait piller leurs maisons."

Lehor, 10ans, suit un cours de mathématiques en ligne. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Lehor préfère regarder des vidéos sur TikTok, comme Viktoria, 11 ans. Même quand le contenu est insupportable. Elle le confie en tirant sur les manches de son pull : "Dans une vidéo, on voit un papy dans sa voiture, il se fait rouler dessus par un char. J’ai été très surprise de voir ça, le papy roulait tranquillement et le char l’a écrasé, je ne comprends pas pourquoi !"

Théâtre, foot et marionnettes pour se divertir

Parfois, Viktoria s’enroule dans une couverture et reste prostrée dans la salle de jeux de son lieu d’accueil : "Oui je dors, je me couche dans la journée quand je me sens fatiguée. Tous les enfants se sentent mal avec ce qu’il se passe."

"Ils peuvent nous tirer dessus aussi, sans se demander si nous sommes des enfants ou pas."

Viktoria, 11 ans

à franceinfo

Les rares moments où Vika sourit c’est quand elle joue à une partie de Uno avec les bénévoles. Ce groupe d’artistes propose tous les jours depuis le début du conflit des cours de théâtre, de violon, des parties de foot, un spectacle de marionnettes... Ce sont des parenthèses joyeuses pour ces petits déplacés venus de Kiev, de Kharkiv, de Zaporijja, de Soumy. De très jeunes Ukrainiens qui laissent la guerre à l'extérieur et retrouvent leur place d’enfant, comme avant.

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