Témoignages
"Ça n'aurait jamais dû arriver" : le fléau invisible des accidents du travail mortels

La France est souvent présentée comme une mauvaise élève en Europe pour les accidents du travail. Cette hécatombe silencieuse touche particulièrement les plus jeunes et les plus précaires.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un ouvrier se tient sous des grues sur un chantier de construction à Bordeaux (Gironde), le 14 septembre 2021. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Au moins 738 à être morts au travail en 2022. Et sans doute davantage, car il n'y a pas de recensement exhaustif. Ce chiffre ne diminue pas depuis dix ans. Le ministère du travail parle d'un "palier". Plusieurs syndicats, notamment la CGT et la FSU solidaires, organisent mercredi 13 et jeudi 14 mars les assises pour la santé et la sécurité au travail à Paris. Une occasion de parler de ce fléau méconnu que sont les morts au travail en France. 

Il y a cependant davantage de morts au travail en France qu'ailleurs en Europe. Ces morts au travail passent souvent sous le radar. On n’en parle pas ou peu. Pour ne prendre que les exemples de ces derniers jours, un ouvrier intérimaire a été écrasé dans une usine de tartes congelées, un agent de maintenance de la SNCF percuté par un train de marchandise ou encore un ouvrier qui tombe d'un échafaudage.

Mort à 14 ans sous un bras hydraulique

On retrouve certaines caractéristiques communes à ces décès et  ces victimes. Il y a souvent des jeunes avec deux fois et demie plus d'accidents du travail chez les moins de 25 ans. Il s'agit aussi souvent d'intérimaires, d'agents nouvellement embauchés parfois même des apprentis. Le plus jeune de ces morts au travail, Arthur, a été écrasé par le bras mécanique d'un engin agricole. Il était en alternance et avait 14 ans et demi.

Six ans après, la colère de sa maman Laetitia n'est pas retombée : "Mon fils était assis en dessous du bras hydraulique. On a levé le bras. L'employé a actionné la manette. À savoir qu'un bras peut cela met sept secondes à descendre et sept secondes, c'est long. Il y a moyen de se rendre compte que le gamin est assis là où il ne faut pas. Mais bon, apparemment il ne l'a pas vu, il l'a oublié... Voilà les excuses qu'on nous a servies. C'était un enfant de 14 ans et demi et qui devait être encadré par deux adultes. J'ai découvert tout au long de l'enquête qu'il avait été mis en danger je ne sais pas combien de fois. L'inspection du travail a quand même recensé 32 points de non-respect des règles de sécurité. Je suis en colère et je leur en veux parce que ça n'aurait jamais dû arriver."

"Ils se sont permis de jouer avec la vie de mon garçon, jusqu'au jour où il est mort."

Laetitia, mère d'Arthur

à franceinfo

Ce chiffre de "32 points de non-respect des règles de sécurité" est important. Ces manquements à la sécurité se retrouvent presque à chaque fois qu'il y a un accident mortel.

"Le rôle de l'inspection du travail est essentiel"

On peut évoquer l'exemple des cordistes, ces salariés qui travaillent en hauteur. Ils ne sont que quelques milliers en France mais 25 d'entre eux y ont laissé la vie ces dernières années par défaut de sécurité ou de formation la plupart du temps. Alban, 25 ans, travaillait lui aussi en hauteur. Il installait des panneaux solaires sur des toitures. Il avait trois chantiers en trois jours à des centaines de kilomètres l'un de l'autre, ce qui veut dire des heures de conduite en plus, et pas de baudrier adapté pas d'échafaudage ou de filet de protection. Une chute lui sera fatale.

Sa mère Véronique apprendra plus tard qu'il venait de remplacer un salarié démissionnaire : "Le monsieur a démissionné parce qu'il avait peur. Il s'est disputé avec le patron, lui disant : 'Moi, je ne travaille pas sur un toit qui est enneigé.' Le patron lui a dit : 'Tu n'as qu'à pas revenir lundi, si tu ne fais pas ça.' Cet employé a averti plusieurs fois l'inspection du travail qui n'a pas réagi et qui a réagi le 7 mars en disant : 'On ne peut pas intervenir tout de suite, mais on interviendra', et Alban est mort le 10 mars."

"On se dit aussi que si l'inspection du travail avait peut être davantage les moyens d'agir et de se rendre dans cette entreprise avant, notre fils serait encore en vie aujourd'hui."

Véronique, mère d'Alban

à francienfo

Normalement, le respect des règles de sécurité est contrôlé par l'inspection du travail. Il y a beaucoup de règles de sécurité. Elles représentent un quart du Code du travail. Beaucoup de règles mais peu de contrôle car les métiers d'inspecteur ou de contrôleur du travail sont mal considérés, mal payés et les recrutements sont difficiles.

Le témoignage de Kévin, jeune cordiste grièvement blessé par une explosion alors qu’il travaillait acrcroché sur une falaise

La Cour des comptes a constaté en 2022 que 18% des postes étaient vacants. On a pu réduire le nombre de morts sur les routes avec des radars et des gendarmes, mais les gendarmes du travail sont à la peine. "Le rôle de l'inspection du travail est essentiel parce qu'il permet dans les entreprises de recréer une forme d'équilibre, de rétablir la balance dans une entreprise où l'employeur a quand même la mainmise sur notamment toute la partie organisation du travail", explique Matthieu Lépine, auteur de L'hécatombe invisible, un ouvrage de référence sur les morts au travail.

"Aujourd'hui en France, il y a des départements où, quand vous appelez l'inspection du travail, ça sonne dans le vide. Vous ne pouvez plus bénéficier de ce regard, qui n'est pas seulement là d'ailleurs pour sanctionner les entreprises, mais aussi dans un rôle de prévention et d'accompagnement."

Matthieu Lepine, auteur de "L'hécatombe invisible : enquête sur les morts au travail"

à franceinfo

Et ce mois-ci, le coup de rabot sur le budget de l'État se traduit entre autres par l'ajournement du recrutement d'une centaine d'inspecteurs du travail.

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