Enquête franceinfo
Affaire Gérard Miller : une alerte sur son comportement avait été lancée auprès de la direction de l'université Paris 8

Le psychanalyste, qui a enseigné à l'université Paris 8 pendant une vingtaine d'années, est visé par une enquête pour viol et agressions sexuelles. Une salariée avait alerté sur son comportement auprès de la direction, qui n'a pas donné suite.
Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Gérard Miller, le 20 mai 2019 à Cannes. (FRED DUGIT / MAXPPP)

Malaise à l'université Paris 8, après l’ouverture il y a quelques semaines d’une enquête visant Gérard Miller pour viol et d'agressions sexuelles. Le psychanalyste y a enseigné pendant une vingtaine d'années de 1995 à 2017.

Quelles ont été les mesures prises par l’université pour protéger ses étudiantes ? C’est la question que pose jeudi 14 mars l’un des syndicats de la faculté, alors que le parquet a reçu six signalements dont celui de deux anciennes étudiantes de Paris 8. Il y a pourtant eu au moins une alerte sur son comportement auprès de la direction, il y a quelques années, mais elle a été ignorée.

Des propos déplacés en cours

Leslie* a travaillé avec Gérard Miller, à l’université Paris 8. À l’époque, il dirige le département de psychanalyse. La collaboration se passe mal entre les deux. La salariée convoque une réunion avec la direction et le DRH de la faculté pour dénoncer des dysfonctionnements. Elle mentionne le comportement déplacé de Gérard Miller envers ses étudiantes en plein cours "d’introduction à la sexualité chez Lacan", qu'il donne tous les mardis : "Le souvenir que j'en ai, c'est d'avoir donné un dossier à la direction de l'université en évoquant certaines étudiantes qui racontaient que Gérard Miller pouvait avoir des propos très déplacés sur leurs pratiques sexuelles, si elles pratiquaient la fellation. Et d'avoir signalé également que certaines étudiantes, jeunes, le raccompagnaient vers la sortie de l'université après le cours", raconte cette ancienne collègue.

Mais ces alertes sont restées lettre morte. "À la suite de cette réunion, la direction m'a fait comprendre qu'on allait faire comme si ça n'avait pas existé. Elle craignait de se retrouver dans un livre ou une pièce de théâtre de Gérard Miller. Pour moi, c'est un beau gâchis", déplore Leslie, qui finit par changer de poste.

"Il était intouchable."

Un ancien responsable de Paris 8

à franceinfo

Difficile de faire le poids face à Gérard Miller : le psychanalyste est chroniqueur sur France 2, il écrit pour des journaux, des humoristes, il est très médiatique, très puissant, il a du réseau. Contactée par téléphone, l'ancienne présidente de Paris 8 mise en cause, Danièle Tartakowsky, se souvient vaguement d'une conversation sur Gérard Miller, mais qui n'a pas donné suite.

Des invitations chez lui

Le parquet de Paris a recueilli deux signalements, de deux anciennes élèves de Paris 8, dont un pour viol. Une troisième étudiante s'est confiée à franceinfo : elle aussi dénonce un comportement inapproprié. À l’époque, Marion (prénom modifié), 21 ans, s'était confiée à son entourage sur cet épisode. Elle se souvient qu'en 2003, date du début de la guerre en Irak, "des militants sont rentrés en cours pour en parler". La jeune femme avait alors pris la parole et à la fin du cours, Gérard Miller lui avait demandé de rester pour discuter. "Il nous a ensuite proposé avec une amie de venir chez lui. Au départ, je ne voulais pas trop y aller mais mon amie a insisté", raconte Marion.

Les deux jeunes femmes se rendent chez Gérard Miller, un hôtel particulier au fond d'une cour, situé près de la place de la Nation, dans l’est parisien. "Une très belle demeure", se remémore Marion. Le psychanalyste les fait descendre au sous-sol dans sa salle de cinéma. "Il y avait un bar avec de l'alcool, il nous a proposé à boire un verre de vin de noix", précise l'ancienne étudiante. S'ensuivent des jeux d'hypnose pratiqués par Gérard Miller sur les deux jeunes femmes : "Un test pour voir si le bras se levait tout seul. Moi, ça ne marchait pas très très bien". Il leur propose ensuite de monter voir sa collection de disques à l'étage dans sa chambre.

Le psychanalyste demande alors aux deux jeunes filles de s'asseoir sur le lit, "pour regarder les disques", Marion se souvient avoir été un peu gênée. Puis, Gérard Miller s'est assis entre elles deux, "il a mis les bras autour de nos épaules et sa main a glissé vers ma poitrine. Donc là, on a décidé de partir, on ne voulait plus rester chez lui", affirme Marion qui ajoute que Gérard Miller a tenté de les en dissuader en déclarant notamment : "Restez les filles, vous pourrez dire que vous êtes sorties avec Gérard Miller". Il leur propose alors de boire un verre dehors, dans un bar, mais les deux amies parviennent à partir. "On était quand même choquées, on avait une vingtaine d'années et c'était notre professeur", confie enfin Marion qui, en lisant les témoignages dans la presse d’autres personnes ces dernières semaines, réalise que, "ça aurait pu mal finir". Elle raconte s'être sentie longtemps gênée par cette soirée avant de décider d'en parler publiquement.

"Quelles ont été les mesures prises pour protéger les étudiantes et le personnel ?"

Au moins 67 femmes ont dénoncé dans Elle les agissements de Gérard Miller, âgé de 75 ans aujourd’hui. Des accusations qu'il conteste mais ces témoignages préoccupent au sein même de l'université Paris 8. Dans un mail interne envoyé il y a quelques jours et que franceinfo a pu consulter, le syndicat Sud-Éducation 93 interpelle la direction : "Cette affaire concerne directement notre université, où Gérard Miller a fait toute sa carrière. Face à ces révélations extrêmement choquantes nous exprimons notre profonde préoccupation. Si tout le monde savait, comme on l'entend ces dernières semaines, quelles ont été les mesures prises pour protéger les étudiantes et le personnel ? Quels dispositifs pour prendre en charge la suite de cette affaire ?", s'interroge le syndicat.

"Dans la mesure où Gérard Miller a fait toute sa carrière à Paris 8, comment ne pas imaginer que l'université ait été un terrain de chasse de Gérard Miller ?, explique celle qui a rédigé ce courrier. On a besoin d'une parole de la présidence de Paris 8, face à cette affaire, pour potentiellement recueillir des témoignages et dire à quel point la parole et l'écoute seront prioritaires. On ne connaît pas le nombre de personnes qui ont pu voir ou ne pas voir ou subir directement des agressions. C'est un peu vertigineux comme inquiétude", renchérit cette enseignante.

Aucun signalement à la direction

Dans un mail adressé à franceinfo, la direction de Paris 8 assure prendre très au sérieux ces témoignages dans la presse : "La prise en charge des victimes et le suivi des situations sont notre priorité." Elle assure n'avoir reçu à ce jour "aucun signalement de personnes ayant subi des violences sexistes et sexuelles de la part de cet ancien enseignant". Une cellule d’écoute opérationnelle est à la disposition des membres de la communauté universitaire, des référents ont également été mis en place, des campagnes de sensibilisation sont organisées, ainsi que des formations tout au long de l'année, précise l'établissement.

Quant à l'avocate de Gérard Miller, Louise Tort, elle dit réserver la parole de son client à l'institution judiciaire, dans le respect de la présomption d’innocence.

*Le prénom a été modifié

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