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Reportage
"Je ne pouvais plus supporter la violence au sein de l'institution" : vague de démissions dans la police et la gendarmerie

Harcèlement, journées sans fin, manque de moyens... D'après la Cour des comptes, il n'y a jamais eu autant de démissions dans les rangs de la police et de la gendarmerie qu'en 2022.
Article rédigé par franceinfo - Willy Moreau
Radio France
Publié Mis à jour
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Le gouvernement veut doubler les effectifs de police d'ici 2030. (ANTHONY RIVAT / MAXPPP)

Fabien Bilheran, avec sa casquette noire et son sweat à capuche beige, a tout quitté en 2022. Il a quitté les "Stups" et l'Ile-de-France pour partir louer des canoës près de Carcassonne : "C'est comme l'accueil d'un commissariat sauf que les gens viennent avec le sourire donc ce sont des conditions très plaisantes". Il fait partie des 10 000 policiers qui ont quitté l'institution en 2022. 15 000 gendarmes ont fait de même. Une minorité est partie à la retraite tandis que les autres ont décidé de raccrocher l'uniforme définitivement ou pour un temps long. 

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Ce sont les chiffres donnés par la Cour des comptes en avril dernier. Selon elle, c'est du jamais vu. Que se passe-t-il donc au sein de la police nationale et de la gendarmerie confrontées à des départs massifs ? Pour Fabien Bilheran, son départ a été mûrement réfléchi. "Dans la police, ma souffrance au travail est allée très loin parce que j'ai d'abord subi du harcèlement moral, suite à mon engagement dans les 'Policiers en colère' en 2016, qui s'est traduit par du stress post-traumatique, raconte-t-il. Cela m'a malheureusement conduit à faire une tentative de suicide en juin 2020. C'est aussi pour cela que j'ai pris beaucoup de recul et que j'en suis arrivé à quitter la police. Je ne pouvais plus supporter la violence au sein de l'institution". 

Fabien Bilheran a cosigné un livre avec la commissaire Agnès Naudin, Police la loi de l'omerta, dans lequel ils donnent la parole à des policiers dégoûtés du système. "Pour résumer, c'est la désillusion, l'impression de ne pas être utile aux gens, la perte de sens, la politique du chiffre et aussi, une ambiance violente dans la police, pas qu'à l'extérieur mais aussi en interne, entre agents, entre hiérarchies subordonnées. Je ne suis pas du tout surpris par le rapport de la Cour des comptes puisque c'est un indicateur de la souffrance et du malaise policiers, à l'image du nombre de suicides, d'arrêts-maladies. C'est un des symptômes de plus du besoin de changement au sein de cette institution. On voit bien que beaucoup de policiers ne s'y retrouvent plus au point de partir alors qu'il y a quelques années, cela aurait été impensable pour un policier de ne pas faire toute sa vie dans la police", estime-t-il. 

Plus de 12 000 policiers en service blessés chaque année

Ce malaise est aussi dénoncé par le syndicat Alliance Police nationale mais selon Eric Henry, délégué national, cela tient plus aux interventions sans fin, aux heures supplémentaires non récupérées, au manque de moyens, aux voitures en déclin, aux bâtiments vétustes et aux violences commises contre les policiers qui ne sont pas assez punies. "À l'heure actuelle, des violences commises à l'encontre d'un policier avec une ITT de 0 à sept jours inclus, normalement c'est cinq ans d'emprisonnement. À partir de huit jours d'ITT et au-delà, c'est sept ans. Le quantum moyen de la peine est de six mois et cela veut dire que l'individu est remis en liberté avec un bracelet électronique ou autre mais il n'est pas incarcéré. Le message qui est envoyé n'est pas fort", souligne-t-il. Entre 2013 et 2020, il y a eu chaque année, en moyenne, 12 600 policiers blessés en service et neuf morts.

"L'agresseur doit savoir qu'il va passer par la case prison, que ce n'est pas permis"

Eric Henry, du syndicat Alliance Police nationale

à franceinfo

De son côté, le ministère de l'Intérieur nuance ce constat de la Cour des comptes. Il explique que certains policiers adjoints ont réussi le concours de gardiens de la paix et qu'ils sont alors considérés comme "sortants" par la Cour des comptes. Elle ferait donc une erreur comptable, selon le ministère. L'autre argument avancé, ce sont les départs vers la police municipale, dont les conditions de travail attirent.

Christophe Spaeter, gendarme pendant 20 ans, a rejoint la police municipale de Lyon il y a cinq ans. Il est chef de service adjoint au pôle circulation et stationnement. "Il y a certains avantages, on est moins sollicités le week-end, les jours fériés. La police municipale, c'est la fonction publique territoriale, on a donc le même statut que les autres fonctionnaires territoriaux. On est astreints à des durées de travail qu'on ne peut pas dépasser. Normalement, on ne peut pas travailler plus de dix heures par jour ou 12 si on a une coupure de deux heures."

"Si on travaille en plus, on peut avoir droit à de la récupération ou des heures supplémentaires et ça, c'est un peu compliqué en police nationale ou en gendarmerie".

Christophe, policier municipal et ex-gendarme

à franceinfo

Il y a donc des avantages mais aussi des inconvénients. Les policiers municipaux font des interventions de plus en plus dangereuses et le régime de retraites est moins favorable.

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Face au mal-être des forces de l'ordre, le gouvernement veut doubler les effectifs dans la police d'ici 2030 alors qu'il peine déjà à combler les départs. Il mise donc sur la formation mais la Cour des comptes alerte sur la qualité dégradée des recrutements et des formations, sachant qu'un phénomène nouveau apparaît : de plus en plus d'élèves en école de police abandonnent en cours de route.

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