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Reportage
Barrage sur le fleuve, destruction de campement dans la forêt… On a suivi la légion étrangère qui lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane française
Emmanuel Macron est en Guyane lundi 25 mars pour une visite express, 48 heures sur place. L'occasion d'un hommage au major Arnaud Blanc, membre du GIGN, tué lors d'une opération de lutte contre l'orpaillage illégal. Un véritable fléau, qui détruit l'environnement et défigure la forêt dans ce département français grand comme le Portugal.
Pour retrouver la légion étrangère et l'opération Harpie, il faut monter à bord de la pirogue du capitaine Clément et longer la mangrove sur le fleuve Approuague. "Le fleuve est très large. Pour schématiser, c'est un peu une autoroute fluviale, explique le militaire. Les embarcations sont capables de naviguer à 80 km/h si elles sont à vide. Après, il faut ajouter à peu près deux à trois tonnes de fret lorsqu'elles remontent, elles vont naviguer à peu près à 50 km/h. C'est déjà énorme sur un cours d'eau."
Dix tonnes d'or extraites par l'orpaillage illégal
Une autoroute fluviale qui permet aux Garimpeiros - c'est le surnom des orpailleurs en Guyane - de s'organiser en convois comme des go-fast pour amener vers le Brésil ou vers le littoral leurs cargaisons d'or. Sauf que, depuis novembre 2022, les gendarmes et les militaires des forces armées guyanaises ont coupé la route grâce à un barrage, installé au Saut Tourépé.
"Tout passage en force implique de passer les 180 m de boudin avec des pointes disséminées pour éventrer toute pirogue qui essaierait de franchir le barrage. Aucune pirogue adverse n'a tenté de le faire, mais si elle tentait de le faire, elle coulerait à peu près en deux ou trois minutes. "
capitaine Clémentà franceinfo
Ce barrage, au sud-est de la Guyane, a donc permis de réduire quasi à néant une plaque tournante de l'orpaillage. Cent vingt pirogues, chargées d'or ou à vide, transitaient ici chaque mois avant novembre 2022, aucune aujourd'hui.
Ce poste de contrôle, c'est donc le centre névralgique des militaires français pour lutter contre l'orpaillage illégal. Quelque 30 militaires de la légion étrangère vivent jour et nuit sous des abris de fortune en tôle. "La faune la plus dangereuse pour nous ici, ce sont surtout des petits insectes, mais qui sont très venimeux comme les serpents ou les araignées, explique le capitaine Arthur qui assure la visite. Ensuite, vous avez ici les stocks de rations d'eau potable et d'essence pour faire fonctionner les groupes électrogènes."
Malgré ces conditions spartiates, ce poste de contrôle sert aussi de base arrière car la lutte contre l'orpaillage illégal se fait beaucoup à pied et pour cela, il faut marcher des heures et des heures au cœur de la forêt. Par petits groupes, ces gendarmes et ces légionnaires détruisent des campements, interpellent généralement en flagrance et constatent aussi que le barrage fluvial est contourné par le sol. "Il y avait vraiment cette logique et un peu de Far West avec les effets l'opération, raconte le capitaine Arthur. Maintenant, ils sont obligés de s'éclater de plus en plus loin. Ils occupent des structures informelles et non stables dans le temps." Même si le barrage a permis d'atténuer les trafics, il reste environ 300 chantiers illégaux en Guyane. Chaque année, dix tonnes d'or en sont extraites alors que c'est seulement une tonne pour l'orpaillage légal.
Près de 8 000 orpailleurs agissent en Guyane
Ces orpailleurs ont donc la particularité de très bien connaître le terrain. Ce sont presque exclusivement des hommes, à 95% des Brésiliens même s'il y a aussi quelques Surinamais. Au total, ce sont près de 8 000 orpailleurs qui agissent en Guyane. En clair, uniquement des profils habitués à cet environnement très hostile. "Cela va être des réseaux dissociés de passeurs piroguiers", développe le capitaine Clément.
"Ce sont essentiellement des gens qui sont du fleuve, qui ont cette connaissance du fleuve. Ici, c'est très large, c'est navigable, mais il faut s'imaginer certaines criques où il y a des roches à fleur partout. Donc il faut une certaine technicité, une connaissance du fleuve."
Généralement, les orpailleurs sont aussi liés à des trafics de drogue, appartiennent à des gangs. D'où une organisation quasi tentaculaire, dit le capitaine Arthur : "Il y a une espèce d'admiration mutuelle et réciproque entre les orpailleurs et les légionnaires. On trouve qu'ils portent des charges monstrueuses. Eux trouvent qu'on est quand même extrêmement discrets. Il y a des orpailleurs qui passent onze mois sur douze en forêt. Ce qui m'a le plus impressionné sur une mission, c'est d'arriver sur un campement avec une petite fille de 2 ans. Sa mère m'a expliqué qu'elle était née ici et qu'elle n'avait jamais connu autre chose, c'est-à-dire qu'elle a accouché en forêt."
"En termes de rusticité et d'endurance dans la forêt, ils sont très très impressionnants."
capitaine Arthurà franceinfo
En clair, des profils qui rendent difficiles les interpellations, même si la gendarmerie revendique 224 gardes à vue en 2023 et 95 personnes écrouées à Cayenne. C'est le meilleur bilan depuis le début de l'opération Harpie en 2008.
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