Reportage
"Adults only" : des vacances sans enfants, une nouvelle tendance venue de l'étranger, encore embryonnaire en France

Les vacances scolaires de la zone C, englobant l'Île-de-France et l'Occitanie, commencent. Et certains cherchent à se reposer, loin des enfants, des siens comme de ceux des autres. Une pratique encore culpabilisante en France, voire illégale.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les formules "adult only" peuvent être proposé par des campings, des hôtels de luxe ou des villa aménagés en chambres d'hôtes. Photo d'illustration (FR?D?RIC CIROU / MAXPPP)

Pour passer ses vacances autrement, certains établissements touristiques interdisent les réservations avec enfants. C'est l'option "adult only" (réservé aux adultes). Fréquente à l'étranger, la pratique se développe en France, mais assez timidement.

Marina, maman d'un petit garçon de 5 ans, est aussi directrice de crèche. Cette option est particulièrement intéressante pour elle. Pour ses vacances, elle a envie d'avoir la "sérénité de ne pas avoir d'enfants à gérer. Même en étant dans le métier, ça n'en reste pas moins difficile", plaide-t-elle. C'est aussi l'occasion pour elle "d'avoir des échanges entre adultes, sans être coupé par des enfants". Quitte à payer un peu plus cher, elle choisit des chambres d'hôtes ou des hôtels sans enfants, et sans bruit.

Le domaine de Forges, en Seine-Maritime, vient d'ouvrir un nouvel hôtel réservé aux adultes. Des chambres avec seulement un lit double, deux transats au bord du spa... "Il est apparu que des groupes d'enfants pouvaient gêner des couples qui voulaient se retrouver, expose Thomas Braquehais, le directeur commercial. Aujourd'hui des gens recherchent cette tranquillité entre adultes uniquement, pour éviter les cris de nos enfants qu'on aime tant".

"On n'est pas parasité par des enfants qui courent."

Thomas Braquehais, directeur commercial d'un hôtel réservé aux adultes

à franceinfo

C'est une vraie tendance, selon la présidente du syndicat Les Entreprises du voyages, Valérie Boned : "D'abord y a les couples qui ont des enfants, qui décident de partir sans pour se reposer, pour changer, et qui, évidemment, n'ont pas envie de supporter les enfants des autres." Elle met cette tendance aussi en relation avec l'effet confinement, "où on a eu tendance à être les uns sur les autres". Et puis il y a une catégorie de gens sans enfants, "qui ont envie de voyager façon sereine"

Une idée à la limite de la légalité

L'idée s'est bien développée à l'étranger, beaucoup plus qu'en France. On compte une centaine d'établissements qui proposent cette formule en Allemagne, en Angleterre, en Espagne. En France, les sites spécialisés n'en recensent qu'une dizaine, sur 17 000. Il peut s'agir d'un camping, quelques hôtels de luxe ou des villa aménagés en chambres d'hôtes.

Mais c'est en général mal vu, voire considéré comme une discrimination. "Ce n'est pas légal, lâche maître Jégouzo, avocate en droit du tourisme, s'appuyant sur le Code pénal. Toute distinction opérée entre les personnes physiques, lit-elle à voix haute, sur fondement de leurs origines, leur sexe, leur situation de famille, leur âge - ce qui est ici le cas des enfants, est interdite" et punie de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. "Pour le moment il n'y a pas eu de jurisprudence, explique l'avocate, mais une famille qui considérerait cette interdiction comme préjudiciable aurait très vraisemblablement gain de cause." 

"On ne voit pas sur quel fondement on pourrait interdire un lieu de vacances à des enfants."

Maître Jégouzo, avocate spécialisée

à franceinfo

Les hôteliers n'ont pas le droit de refuser l'accès aux enfants, dit la direction générale des entreprises. Tout en reconnaissant qu'il est "difficile de démontrer leur mauvaise foi". Certains le font de manière détournée : "Il n'y a pas de barrières autour de la piscine. C'est dangereux." D'autres assument, comme Stuart Coe, gérant du camping Château de Lacomté, dans le Lot : "On n'a trois enfants et cinq petits-enfants, on n'est pas contre les enfants. Mais si vous mettez des enfants avec des parents qui ne s'en occupent pas, vous avez un problème", relate-t-il.

Sur son site internet, on voit une femme qui nage toute seule dans une grande piscine. Le gérant en fait un argument commercial, il est le premier camping sans enfant de France, depuis 14 ans. "Ce n'est pas de la discrimination, c'est notre  business, se défend-il, si ça marche c'est super. Une fois qu'ils ont goûté un camping sans enfants, ils ne veulent pas retourner dans un autre", ajoute Stuart, qui assure que son camping est complet chaque été.

Vers une société qui se morcelle encore ?

Si ça marche si bien, c'est un signal que les adultes veulent de moins en moins vivre avec les enfants, théorise le sociologue spécialiste du tourisme, Jean-Didier Urbain. "C'est un symptôme de société, qui confirme une tendance beaucoup plus lourde, explique-t-il, c'est que nous vivons de plus en plus dans une société de l'entre-soi, une société qui se morcelle, culturellement, cultuellement, politiquement, et même au niveau des vacances, avec cette forme extrêmement spectaculaire qu'est l'exclusion de l'enfant. Pour beaucoup de gens, les enfant, c'est d'abord du bruit, c'est d'abord du désordre, c'est l'incapacité de pouvoir parler entre soi."

Avec un paradoxe : dans le même temps, on parle de plus en plus d'enfant-roi. "C'est parce que notre société est celle de l'enfant-roi qu'on s'offusque, pointe le sociologue, c'est pourquoi cet interdit choque d'autant plus". Marina, elle, ne changera pas ses habitudes. Pour ses prochaines vacances au Canada, la directrice de crèche choisira bien un hôtel "adult only".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.