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"On doit économiser sur tout, même les photocopies" : à Brest comme ailleurs, l'université au bord du gouffre financier

Les universités françaises font face à un gros problème de financement, depuis des années, avec des conditions d’enseignement qui se détériorent. Exemple à Brest. 

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'université de Brest, en mars 2022.
 (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

"Il y a de l'eau qui s'est infiltrée partout", se désole Marie en regardant le plafond d'une salle de l'Université de Bretagne Occidentale (UBO), à Brest. Élue au syndicat étudiant de l'Union pirate finistérienne, elle constate "des taches de moisissure partout, et deux carreaux du plafond qui sont tombés avec des fils apparents." En-dessous, un gros seau noir a été placé pour récupérer l'eau. "Il ne faut pas trop se balader ici", assure-t-elle.

Ce que décrit Marie, c'est la partie la plus visible des problèmes de financement qui touchent cette université. Mais ils se constatent aussi dans les enseignements : toute l'année, des cours sont annulés, faute d'enseignants, ou sont regroupés. Les étudiants s'y retrouvent de plus en plus nombreux. "Il n'y a pas assez d'enseignants sur d'autres disciplines, ce qui fait qu'au lieu d'avoir des travaux dirigés [TD] à 20 élèves, qui est une pratique pédagogique à plébisciter, on se retrouve dans des amphis ou dans des fusions de TD où ils passent de 20 à 50 élèves, voire en amphi, regrette l'étudiante. Par exemple, les élèves en psychologie sont à 300." 

Des fuites d'eau dans les locaux de l'université de Brest, en mars 2022. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

Des formations moins riches, des heures de cours en moins

Faut-il réformer le système des frais d'inscription pour renflouer les caisses de l'enseignement supérieur ? Emmanuel Macron a posé la question sur la table, en janvier dernier. De son côté, France universités, l'organisation qui représente les universités, réclame un milliard d'euros supplémentaire par an pour l'enseignement supérieur, pendant le prochain quinquennat. Au-delà de la polémique, un constat est partagé : le monde universitaire manque de moyens. À l'Université de Bretagne Occidentale (UBO), un plan drastique d'économie a été mis en place en 2019. Près d'un douzième des cours a été supprimé. Au lieu d'avoir par exemple 24 heures de droit ou d'histoire, vous n'en avez plus que 20, et c'est le cas dans chaque matière.

Ces conditions d'enseignement dégradées ont des conséquences sur la formation des étudiants. "On a une formation qui est beaucoup moins riche que d'autres universités parce qu'on a beaucoup moins d'heures de cours", raconte Clara. L'étudiante en première année de psychologie se souvient avoir dû mettre des gants dans l'amphi principal cet hiver, pour se protéger du froid. Mais surtout, elle craint pour la suite de ses études, notamment pour l'entrée en master, très sélective. "Si un master a le profil de deux candidats, ils ont exactement la même moyenne, s'ils voient que le candidat numéro 1 n'a eu que 30 heures de cours par semaine en moyenne et le deuxième 35 heures, évidemment il prendra celui qui est à 35 heures", explique-t-elle.

"Je me demande si cela sert à quelque chose que je reste à Brest ou s'il ne faudrait pas que je change directement d'université ?"

Clara, étudiante en première année de psychologie

à franceinfo

L'étudiante aime son université. Elle sait que ses profs n'y sont pour rien et que le problème est plus général. D'autant que ces problèmes de financement ne sont pas une nouveauté. C'est même une tendance sur le long terme, même si la loi LRU, dite "loi d'autonomie des universités" de 2007, défendue par Valérie Pécresse, à l'époque ministre de l'Enseignement supérieur, a accéléré les choses selon la plupart des acteurs du secteur. 

Des économies "sur tout"

Mais à Brest, cela fait longtemps que l'ancienne doyenne de la faculté de droit, Véronique Labrot, a constaté cette dégradation. "On a commencé par nous enlever une semaine de cours par semestre, raconte-t-elle. On s'est dit qu'on avait atteint un niveau où ce n'était plus possible. Prenez une maison : vous pouvez enlever une brique, ça va tenir... Puis deux briques, trois briques, et vous enlevez la quatrième, le mur s'écroule. Je crois qu'on n'est pas loin de cette situation, et je crois même qu'on y est."

"On doit faire des économies sur tout, même les photocopies", racontent les enseignants qui doivent aller chercher des fonds à l'extérieur, notamment par le biais des appels à projet. "Vous passez un temps fou à chercher des projets, avec 50 000 fois le même document à remplir pour trouver de l'argent, déplore Véronique Labrot.

"Ça favorise aussi la précarisation des jeunes chercheurs puisqu'on va les recruter sur un projet : quand le projet sera terminé, la mission sera terminée."

Véronique Labrot, ancienne doyenne de la faculté de droit

à franceinfo

Selon l'ancienne doyenne de la faculté de droit, "vous passez votre temps également à monter des formations en alternance, parce que si vous avez de l'alternance ou de la formation en continue, vous allez avoir des ressources propres, donc vous pourrez financer un cours."

Qui finance l'enseignement supérieur ?

Aujourd'hui, l'État finance en grande majorité l'enseignement supérieur. Les fonds publics représentent environ 80% du budget de chaque université. Ensuite, une petite part vient des droits d'inscription des étudiants (2%), de la taxe d'apprentissage des entreprises (2%), de la formation continue. Le reste, ce sont les appels à projets, avec des enveloppes de l'Europe, par exemple, et des partenariats avec des entreprises privées.

Mais quand on regarde la part du PIB que notre pays consacre, on est très en retard sur nos voisins, affirme Manuel Tunon de Lara. "La France essaye, grâce à la loi sur la recherche, d'atteindre 1% de financements publics sur la recherche, explique le président de France universités, qui représente les présidents des universités françaises. En même temps, l'Allemagne se fixe un objectif de 3% de financements publics. Ces différences sont très importantes entre les pays."

Il y a aussi la question de la répartition entre étudiants. Quand l’Etat consacre par exemple 10 000 euros à un jeune dans une fac, la somme grimpe à 16 000 en moyenne pour un autre dans une classe prépa ou dans une grande école (comme les écoles d’ingénieurs, les Instituts d’études politiques, ou encore Polytechnique et les Ecoles normales supérieures).

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