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Université : faut-il réformer le système des frais d'inscription pour renflouer les caisses de l'enseignement supérieur ?

A demi-mot, Emmanuel Macron a mis sur la table la question de l'augmentation des frais d'inscription à l'université. Au-delà de la polémique, un constat est partagé : le monde universitaire manque de moyens. La solution avancée, elle, ne fait pas l'unanimité.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des étudiants à l'université de Rennes-1 (Ille-et-Vilaine), le 4 janvier 2021. (DAMIEN MEYER / AFP)

Emmanuel Macron a-t-il esquissé avant l'heure un élément de son programme de probable futur candidat à sa réélection ? Lors d'une intervention le 13 janvier devant les présidents et présidentes d'université, le chef de l'Etat s'est publiquement interrogé sur la pertinence d'augmenter les frais d'inscription à l'université, et plus largement de revoir le fonctionnement de ces établissements. "On ne pourra pas rester durablement dans un système où l'enseignement supérieur n'a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants", a-t-il argué, s'alarmant notamment de la "précarité étudiante" et rappelant "qu'un tiers des étudiants sont boursiers".

Les réactions des syndicats étudiants ne se sont pas fait attendre, l'Unef dénonçant sur Twitter une future "privatisation" de l'université. Pourtant, au-delà de la polémique causée par les mots d'Emmanuel Macron, un constat est partagé par la plupart des acteurs du monde universitaire : les universités françaises ne disposent que d'un budget limité, qui s'est lentement réduit au fil des années alors que le nombre d'étudiants qui y sont inscrits a augmenté de 10% en cinq ans, pour atteindre 1,6 million en 2020, selon la Cour des comptes.

En France, contrairement à d'autres pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, c'est l'Etat qui finance la quasi-totalité du budget des établissements supérieurs publics. Avec, à la clé, des conditions d'études dégradées et des crédits insuffisants pour la recherche. Faut-il, dès lors, et comme le proposait la Cour des comptes dans un rapport publié l'année dernière, augmenter les frais d'inscription pour donner plus de moyens et d'autonomie aux universités françaises ? Et surtout, dans quelle mesure et selon quel modèle ?

Plus de 10 000 euros par an en Angleterre

Dézoomons. En Europe, les politiques relatives aux universités varient grandement d'un pays à l'autre. Si, en France, les frais d'inscription sont de 170 euros par an en licence et de 243 euros en master, ils sont gratuits en Suède, atteignent une moyenne de 75 euros en Allemagne et grimpent à plus de 10 300 euros en Angleterre, selon un rapport d'Eurydice, réseau européen consacré à l'éducation et chapeauté par la Commission européenne. Le système anglais (et non britannique, l'Ecosse et le pays de Galles étant responsables de leurs propres universités) est l'un des seuls exemples du continent d'un système où les universités sont en majeure partie financées par les étudiants.

Retour en 2006 : les universités anglaises, qui ont vécu une explosion du nombre d'étudiants, disposent d'un budget fortement réduit, financé principalement par l'Etat. Le gouvernement britannique décide alors d'opérer un changement de philosophie : les frais d'inscription, jusqu'alors peu élevés, sont revus à la hausse. Pour les payer, la majorité des étudiants souscrit un "prêt à remboursement contingent au revenu", garanti par l'Etat, et dont le montant doit être remboursé après leurs études. Dans les faits, la plupart des étudiants rembourseront un montant équivalent à 9% de leur salaire annuel, uniquement si celui-ci dépasse les 27 000 livres (environ 32 500 euros), jusqu'à ce que le prêt soit totalement remboursé. Les plus pauvres bénéficient généralement d'un prêt supplémentaire, lui aussi remboursé en fonction de leurs revenus à la fin de leurs études.

Le bilan de l'expérience anglaise ? "Un succès du point de vue du gouvernement", analyse Gill Wyness, professeure d'économie à l'University College of London et spécialiste du sujet. "En termes de budget, cela a fonctionné puisque les universités disposent désormais de leurs fonds propres et de plus d'autonomie", détaille-t-elle. Au fur et à mesure que les droits d'inscription augmentaient, le gouvernement britannique s'est peu à peu désengagé financièrement.

Vers une hausse beaucoup plus limitée en France ?

Le nombre d'étudiants a quant à lui "continué d'augmenter malgré les craintes de certains", selon Gill Wyness. Mieux, "les inscriptions des étudiants les plus pauvres n'ont pas baissé", même "s'il faut bien noter qu'ils sont bien moins nombreux que ceux issus des classes aisées". L'autre effet indéniable de la réforme est le fort endettement des étudiants anglais, qui se retrouvent avec une dette de 55 000 euros en moyenne à la fin de leurs études.

Doit-on s'inspirer de ce modèle ? En France, les défenseurs de l'augmentation des frais d'inscription prônent une hausse plus limitée. Dans son rapport, la Cour des comptes suggère de les fixer à 730 euros pour les étudiants en licence et 887 euros pour ceux en master. L'institut Montaigne, think-tank libéral qui a lui aussi publié un rapport sur le sujet, vise les 900 euros en licence et les 1 200 euros en master. Alain Trannoy, économiste à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur d'une tribune publiée en 2018 dans Le Monde, défend cette idée. "Je pense que ce changement est nécessaire, quand on voit que les universités s'appauvrissent et sont de moins en moins compétitives à l'international", détaille-t-il, interrogé par franceinfo.

Ce manque de financements affecte également la recherche, selon Alain Trannoy, qui a dirigé la Aix-Marseille School of Economics pendant plusieurs années. "J'ai eu toutes les peines du monde à recruter des gens, notamment au vu des écarts de salaires avec l'étranger", se souvient-il. En plus d'une augmentation des frais d'inscription modérée, l'économiste propose l'instauration de prêts contingents, comme en Angleterre, et prône une large refonte du système de bourses, pour que celui-ci concerne davantage d'étudiants.

La Scandinavie, un autre modèle ?

Mais le modèle anglais est loin de faire l'unanimité. "Cela coûte même plus cher au gouvernement britannique, puisque certains étudiants ne remboursent jamais leur prêt [quand leur salaire ne dépasse les 32 500 euros annuels]", souligne David Flacher, économiste à l'Université de technologie de Compiègne. Pour éviter que le gouvernement ne se désengage totalement, Alain Trannoy propose que "pour chaque euro investi par les étudiants, un euro soit investi par l'Etat. Cela augmenterait le budget des universités de 50%."

Au modèle anglais, David Flacher préfère celui des pays scandinaves. "En Norvège, l'Etat prend en charge 95% des dépenses relatives à l'éducation supérieure. En France, c'est 80%, on peut faire plus ! explique-t-il. Dans notre pays, l'enseignement supérieur ne coûte pas très cher, seulement 20 milliards d'euros par an. Si on voulait que tous les étudiants en licence soient financés au même niveau que ceux de classe prépa, cela ne coûterait que 5 milliards en plus."

De quel modèle voudrait s'inspirer Emmanuel Macron ? Contacté par franceinfo, l'Elysée se défend d'avoir un projet de réforme en tête. "Le président a fait le bilan de ce qui a été fait et a lancé des pistes, c'est tout", assure-t-on. Pas question de "supprimer les bourses" mais plutôt de les rendre "plus efficaces". Et si les frais d'inscription venaient à être relevés, les étudiants boursiers continueraient "bien sûr" à en être exonérés. Des explications qui ne rassurent pas David Flacher : "Pour moi, les choses sont claires, Emmanuel Macron veut se diriger vers le modèle anglais", déplore le chercheur.

"Ce qui est proposé, c'est un modèle où certaines universités vont s'appauvrir et être mises en concurrence avec les autres."

David Flacher, économiste

à franceinfo

Si le mode de financement des universités crispe autant, c'est aussi parce que le sujet en dit long sur notre conception de l'éducation supérieure. "En Angleterre, le gouvernement a considéré que c'était aux étudiants de payer pour leur propre éducation et pas à la société tout entière, explique Gill Wyness. La logique était que vu que la majeure partie de ceux et celles qui vont à l'université viennent des classes supérieures, si les études sont gratuites, alors tous les contribuables payent pour l'éducation d'une minorité riche."

Cette vision est rejetée par une grande partie du monde universitaire français, qui préférerait s'inspirer d'autres pays européens. "Prenez le Danemark : non seulement les études y sont gratuites, mais l'Etat cherche à faire en sorte de donner le plus d'autonomie financière possible aux étudiants, souligne David Flacher. Pour moi, les universités rendent un service à toute la société, notamment en matière de recherche."

Un système français à deux vitesses

Quelle que soit la direction choisie par le prochain gouvernement, il faudra de toute façon composer avec une particularité française : l'existence des classes préparatoires et des grandes écoles, comme Sciences Po, qui captent largement plus de financements publics par tête d'étudiant que les universités, comme l'expliquait le magazine L'Etudiant.

"Il faut faire avec ce système, qui s'explique par notre histoire, juge Alain Trannoy. Mais à terme, je pense qu'il faut rapprocher les grandes écoles et les universités, notamment intégrer les classes prépa." David Flacher va plus loin, jugeant qu'il "faudra à terme réunir les grandes écoles et les universités". Et si finalement, au-delà de l'augmentation des frais d'inscription, c'était toute l'organisation du système universitaire qu'il fallait repenser ? Une réforme "de l'organisation, notamment sur l'autonomie des universités", devrait être mise en place, suggère Alain Trannoy.

Le sujet imprimera-t-il pendant la campagne présidentielle ? A gauche, notamment chez les Verts et les Insoumis, on préférerait donner plus de moyens aux universités et augmenter le niveau des bourses. A droite, si Valérie Pécresse a qualifié les propos d'Emmanuel Macron de "provocation", elle a annoncé vouloir poursuivre les réformes d'autonomie des universités, entamées alors qu'elle était ministre de l'Enseignement supérieur entre 2007 et 2011. De quoi promettre des débats passionnés.

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