Guerre en Ukraine : en Angleterre, les sanctions contre les oligarques russes divisent la société
Depuis le début de l'offensive de Moscou en Ukraine, l'Angleterre fait la chasse aux oligarques russes. Les autorités s'en prennent aussi aux personnes qui les ont aidés à s'installer à Londres, ce qui ne fait pas l'unanimité.
La chasse aux oligarques russes fait des remous en Grande-Bretagne. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement britannique se veut très ferme. Les biens de certains milliardaires sont gelés. Cependant, les autorités s’en prennent aussi aux Britanniques qui ont permis à tout cet argent russe d’arriver à Londres, en contournant les règles : les conseillers financiers qui ont monté les dossiers pour acquérir des propriétés via des sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux, les agents immobiliers qui ont trempé dans ces arrangements, les agences de relations publiques qui organisent les contre-attaques quand la presse s’en prend à l’un de ces hommes d’affaires ou encore les cabinets d’avocat... À Londres, tous ces intermédiaires sont appelés "facilitateurs".
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Ainsi, certains avocats ont été dénoncés publiquement devant la Chambre des communes. "Pourquoi en sommes-nous arrivés là dans notre société, où des kleptocrates, des criminels et des oligarques intimident des médias libres ?", s'est ainsi insurgé l'élu de la majorité Bob Seely devant le Parlement. Il n'a pas hésité à citer le nom de ces cabinets, assumant complètement ce "name and shame" ("nommer et couvrir de honte", en français). Selon lui, certaines personnes abusent du système, en particulier pour empêcher des journalistes de faire leur travail ces dernières années.
"Les gens ont le droit d’être conseillés et représentés par un avocat, mais ils en abusent très très gravement."
Bob Seelydevant la Chambre des communes
Ces accusations ont été étayées par les journalistes eux-mêmes, devant une commission parlementaire. Une de ces enquêtrices parle de "stratégies particulièrement agressives" : des courriers juridiques incessants, des lettres ou des messages avec des attaques personnelles ou la description d’un rendez-vous pourtant secret avec une source... Tout cela relève de l'intimidation.
Les avocats inquiets pour le respect du droit
Les cabinets des avocats cités ont choisi le démenti catégorique ou le silence. Mais la profession toute entière s’inquiète de ce qui se passe actuellement. Ils estiment que leur travail est mis en cause. Aujourd’hui, le gouvernement les sanctionne et personne dans la population ne s’en offusque. Ils pointent aussi du doigt le fait de jeter des noms en pâture car cela questionne le fonctionnement de la politique et de la justice britannique.
Cette situation pose également la question de la défense juridique des milliardaires installés à Londres. En effet, ces oligarques ont le droit d’être défendus mais c’est extrêmement compliqué. "Il y a d’abord l’aspect pratique : comment se faire payer ?", interroge le docteur Anna Brashaw, avocate au sein du cabinet Peters and Peters, dont les bureaux se trouvent dans un immeuble moderne de la City, le cœur économique du pays.
"Même avec une note de frais juridiques, j’aurai quand même besoin d’une permission de ma banque. Ils peuvent penser que ce n’est pas faisable ou que ça présente un risque pour eux et il n'y a pas grand-chose à faire dans cette situation."
Anna Bradshaw, avocate londonienneà franceinfo
Ni elle, ni son cabinet n’ont été cités mais elle a déjà défendu et défend encore les intérêts de personnes visées par des sanctions gouvernementales. Elle ne révèlera pas leurs noms mais juge que, dans les conditions actuelles, un avocat britannique a bien du mal à défendre un client russe. "Admettons que vous soyez payé, vous seriez incroyablement inquiété en termes de réputation et d’exposition."
Elle insiste également sur "la communication injuste" selon elle du gouvernement. Les avocats sont en effet accusés de ralentir les procédures actuelles. Or, l'avocate explique qu'en cas de sanctions décidées par les autorités – en clair, quand un oligarque est placé sur la liste noire – elle ne peut rien faire en amont parce qu’elle n’est bien sûr pas prévenue. Une fois la sanction tombée, il est quasi impossible de la contester devant la justice. En s’emparant de ce genre de cas aujourd’hui, selon la profession, il n’y a donc que des coups à prendre.
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