Financement des Ehpad publics : en Bretagne, des maires "angoissés" par les déficits prêts à attaquer l'État en justice
En Bretagne, de nombreux maires lancent la révolte des Ehpad ruraux. Ce sont les responsables de ces structures publiques qui croulent sous les dépenses, entre les primes accordées aux salariés des Ehpad qu'ils doivent en partie financer et l'inflation. Résultat : les déficits annoncés pour cette année 2023 s'envolent et ces élus s'inquiètent. Ils ont décidé de s'allier et d'attaquer l'État pour demander davantage de financements.
150 000 euros de déficit à l'Ehpad de Plouaret, "j'en ai pleuré"
Avec sa casquette de présidente du CCAS, le comité d'action sociale, la maire de Plouaret Annie-Bras-Denis est la responsable de l'Ehpad public. Une femme énergique et de caractère, mais quand elle a dû voter le budget et le déficit de l'Ehpad l'année dernière, "j'en ai pleuré", se souvient-elle. "Je m'étais dit ce n’est pas possible, parce qu'on avait fait des efforts de restructuration et malgré tout on allait afficher un déficit de 150 000 euros. Ça, ce n’est pas possible."
Une somme énorme pour ce petit Ehpad de moins de 60 résidents. D'abord, parce que l'Etat a décidé d'accorder des primes Grand Âge et Ségur de la Santé aux salariés des Ehpad, mais ne les paye pas entièrement. "En fait, il n'a apporté les compensations financières qu'à hauteur de 80% à peu près. Donc comme nos CCAS sont de toutes petites structures, elles sont incapables d'éponger ces sommes-là", les 20% restants, précise Annie-Bras-Denis.
Avec l'inflation, les factures grimpent
La deuxième raison, c'est l'inflation, la hausse des prix alimentaires notamment et la hausse du coût de l'énergie. D’autant plus que dans les Ephad, on chauffe beaucoup, avec au bout du compte des factures qui explosent, comme l'explique Caroline Bernad, la directrice de l'Ehpad : "On a eu la mauvaise surprise de recevoir une facture d'électricité en mai, sur la période de janvier jusqu'à mi-mai, de quasiment 30 000 euros". "On n'avait pas la trésorerie pour la payer, précise-t-elle, donc on l'a mise en attente. Ce n’est pas qu'on ne veut pas mais on n'a pas la capacité pour l'instant".
La directrice assure qu'il "n'y a pas de gras", dans les dépenses. Et réaliser plus d'économies, avoir moins de personnel, ce serait rogner sur le confort des résidents.
L'une des solutions serait d'augmenter les tarifs pour les résidents. Aujourd'hui ils paient environ 2 000 euros par mois, et plus serait très compliqué, confirme Henriette, 100 ans : "Payer plus ? Ah non quand même. 2 000 euros par mois, vous savez, il faut les sortir quand même."
Alors pour renflouer les caisses de l'Ehpad, des habitants bénévoles vendent régulièrement des crêpes sur les marchés. "On fait une quinzaine de kilos de pâte et ça nous rapporte dans les 400 euros à chaque fois. Ça ne fait peut-être pas beaucoup, mais c'est une goutte d'eau qui peut quand même les aider", témoignent Françoise Le Moullec et Martine Le Quéré.
"On pense toujours aux personnes âgées, parce que s'il n'y a plus d'Ephad, où ils iront ? Donc il faut les aider, comme on peut."
Françoise Le Moullec et Martine Le Quéréà franceinfo
La situation financière catastrophique de cet Ehpad n'est pas un phénomène isolé, la maire de Plouaret s'en est d'ailleurs rendu compte en discutant avec d'autres élus des communes voisines. Ensemble, ils se sont aperçus que leurs Ehpad, publics et ruraux, étaient tous dans le rouge. Alors ils ont créé un collectif qui fait tache d'huile dans toute la Bretagne et entre "en résistance".
Les réunions publiques organisées font le plein, encore la semaine dernière avec deux rendez-vous et la présence d'une centaine de communes. Chacune égrène les difficultés financières de son Ehpad : "Le déficit programmé pour l'année 2023 est à 184 000 euros", "Le déficit nous fait froid dans le dos, il frise les 570 000 euros", ou encore "On est comme vous tous ici, on a 177 000 euros de déficit". "Je n'ai pas envie d'arriver à la fin de l'année sans pouvoir payer mon personnel, c'est quelque chose qui m'angoisse", ajoute ce dernier élu.
Les rallonges de l'Agence régionale de Santé et du Département, qui sont les financeurs du Grand Âge, ne sont pas suffisantes. Pour eux, l'Etat est défaillant. "On arrête de financer et on dit aux collectivités ou aux maires 'allez démerdez-vous'. Nous, on est humains, on ne cherche rien d'autre que faire ce qu'il faut pour nos vieux et sans les financements, on n'y arrivera pas", s'alarme Jean-Louis Even, maire de La Roche-Jaudy.
Alors les maires ont décidé de se rebeller. La solution selon eux, c'est d'attaquer l'Etat en justice, "de les mettre en responsabilité et la seule manière qu'on connaît, c'est le tribunal, pour soutenir le mouvement qui est en train de se monter", précise Gérard Daboudet, le maire du Mené. Attaquer l'Etat, c'est pérenniser l'avenir de ces petits Ehpad publics pour Xavier Compain, le maire de Plouha : "En Bretagne, on pose la question du modèle. Territoire rural pour l'essentiel, des petites retraites agricoles, chez nous il y a peu de Cacharel [la marque], donc il y a très peu de foyers logements à 6 000 euros."
Dans l'immédiat, ces maires, qui pour beaucoup ne peuvent plus payer les factures de leur Ehpad, espèrent qu'on ne leur coupera pas l'électricité et le chauffage cet hiver.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.