"Est-ce que je vais réussir à me remettre dans le bain ?" : le stress de la réouverture pour les employés de bars et restaurants
Si la plupart des serveurs voient la réouverture des bars et restaurants avec joie, ils sont nombreux à ressentir également de l'appréhension, après de longs mois d'arrêt.
C'est une nouvelle phase du déconfinement : après une longue fermeture due à l'épidémie de Covid-19, les bars et les restaurants se préparent à rouvrir leur terrasse, mercredi 19 mai. Et cela s'entend : dans les rues, il n'est pas rare d'entendre les visseuses, les perceuses, des coups de marteau, certains cafés montent en hâte des terrasses en bois sur le trottoir. Arrive également aux oreilles le tintement des assiettes, des verres à vins, qui s’échappe des portes des bistrots. Symphonie d’un retour à un quotidien normal.
C'est aussi le retour de nombreux salariés de la restauration, qui pour certains n'ont plus travaillé depuis plus d’un an. Alors pour se remettre dans le bain, certains suivent des formations, comme au centre Asforest, à Paris. Elle s'intitule : "La gestion des crises et des conflits". Ils sont cinq participants : Jennifer, David, Maylise, Lindsay et Abdel, ce sont trois chefs de rang et deux responsables de salles. Dès le début, on entre dans le vif du sujet : "Les émotions, je pense qu'après un an de confinement, d'incertitude sur la reprise du travail, elles sont fortes. Donc je vais laisser vous exprimer par rapport à ce que vous ressentez", lance la coach, Patricia Helvadjian.
"Moi je ressens de l'appréhension, énormément", confie une des stagiaires. "Moi du stress, énormément de stress pour cette reprise", abonde un autre. "Je me demande même si je vais réussir à me remettre dans le bain." Tous témoignent du même sentiment : "Un peu stressé de comment je vais regérer un service." Ils travaillent tous dans le même restaurant, mais la plus stressée, c’est sans doute Maylise : "J'ai peur d'avoir oublié certaines bases. Avec les nouvelles restrictions, est-ce que je vais réussir à me réadapter ? Si je n'arrive pas à rentrer dans le bain, je préfère laisser ma place."
Est-ce que je ne vais pas me rendre compte que finalement j'aurais dû changer de métier ?
Maylise, cheffe de rangà franceinfo
Patricia, la coach, va tenter d'exorciser cette peur de la reprise, de ne pas arriver : "La peur est juste une vue de leur esprit. Quand on a des réflexes et qu'on fait quelque chose régulièrement, le cerveau est en mode automatique. Là, ils ont l'impression qu'ils ont perdu leurs réflexes. Or, en le refaisant, au bout d'une journée ils vont avoir tout repris."
Malgré cette appréhension, ils ont hâte, malgré tout, de reprendre du service. Ces employés sont tous pressés de retravailler, de bouger, de revoir les habitués, comme Jennifer, la responsable de salle : "Je suis très très impatiente. Impatiente aussi de retrouver un rythme, une vie un peu plus saine, retrouver mes collègues."
Avec tout ce qu'on a vécu, si vous ne repréparez pas vos employés, le rendez-vous du 19 mai et ceux à venir seront ratés. Moi je n'ai plus envie de rater des rendez-vous, c'est clair, j'en ai raté depuis quinze mois !
Alain Fontaine, patron de restaurantà franceinfo
Celui qui a hâte de les retrouver, c'est leur patron : Alain Fontaine, propriétaire du restaurant Le Mesturet, à Paris, et président de l'association française des maîtres restaurateurs. S'il les envoie en formation, c’est parce qu'il les veut prêt le jour J : "Ce sont des compétiteurs, comme des sportifs de haut niveau, qui savent faire leur travail, mais il leur manque la compétition. La compétition, ce sont les clients. Pour cela, il faut les repréparer. Parce qu'aucun de nos employés, et plus largement en France, ne reviendra comme avant. Vous avez eu une oisiveté forcée de 15 mois, il va falloir qu'on se réadapte, qu'on réapprenne à vivre ensemble."
Un manque cruel de personnel
Mais ce rendez-vous du 19 mai, d'autres risquent de le rater, faute de personnel : dans ce secteur déjà en tension avant la crise sanitaire, il manquerait aujourd'hui plus de 110 000 salariés, selon le Groupement national des indépendants. Chez Olivier Amiot, patron du restaurant Monsieur Moulinot, à Issy-les-Moulineaux, sur 24 salariés, quatre ne reviendront pas. Ils ont changé de métier. Alors depuis des jours, il cherche à recruter, sans succès : "Nous avons passé une petite annonce dans le 'Journal de l'hôtellerie', sur le site gensdeconfiance, sur le site mabrigade, nous avons aussi mis sur les vitrines du restaurant le personnel que nous recherchions, et enfin, nous avons passé une annonce sur leboncoin."
Pour attirer les candidats, le patron fait jouer la concurrence : "Il y a un second de cuisine, dans un restaurant à Paris, avec lequel j'aimerais beaucoup travailler, je lui ai fait une proposition plus importante que les conditions qu'il a actuellement. J'attends sa réponse. On force le destin. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui pourraient venir travailler dans les métiers de la restauration."
On se retrouve tous dans une situation où il y a une pénurie énorme de main d'œuvre, alors qu'il y a apparemment beaucoup de chômage.
Olivier Amiot, patron de restaurantà franceinfo
Il y a effectivement des opportunités : selon Pôle emploi, le nombre d’offres déposées sur la première semaine de mai dans le secteur de l’hôtellerie, cafés, restauration est en hausse d’environ un tiers par rapport à la même semaine en 2019.
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