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"En cas d'avarie, certains deviennent tétanisés" : à Port-Revel, les pilotes de porte-conteneurs apprennent à gérer les situations d'urgence

Il y a un mois, l'"Ever Given" s'échouait dans le canal de Suez, paralysant 10% du commerce international. En Isère, les pilotes des navires s’entraînent dans le centre spécialisé de Port-Revel pour apprendre à gérer ces situations.

Article rédigé par Benjamin Illy
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le centre reproduit à l'identique mais en miniature le Canal de Suez. (BENJAMIN  ILLY / RADIOFRANCE)

Il y a bientôt un mois, l'Ever Given, porte-conteneurs d'une capacité de 200 000 tonnes, s'échouait dans le canal de Suez, créant un embouteillage monumental sur cette route maritime cruciale reliant l'Asie à l'Europe et représentant 10% du commerce international. En Isère, au centre d’entraînement de Port-Revel, les pilotes s'entraînent à dompter ces géants des mers.

Un lac de cinq hectares en pleine forêt

Évidemment, l'environnement des montagnes rend à première vue insolite le choix de l'endroit pour s’entraîner à piloter un porte-conteneurs. Port-Revel se situe en effet à 700 mètres d'altitude, niché au cœur du plateau de Chambaran. Pour se rendre sur place, il faut s'enfoncer dans la forêt, et risquer la rencontre fortuite avec des cerfs et des chevreuils.

Mais passée la forêt, on découvre un lac artificiel de cinq hectares qui reproduit les pires conditions de navigation grâce à des machines et qui dispose même d'une réplique miniature d'une partie du canal de Suez, de la baie de San Francisco ou des écluses de Panama. Posés sur le lac, de petits navires permettent aux pilotes de s'entraîner. Chacun coûte plusieurs centaines de milliers d'euros.

Le poste de commandement d'un navire reproduit en miniature. (BENJAMIN  ILLY / FRANCE-INFO)

Port-Revel a été créé en 1967 par la Sogreah, devenu Artelia, société française acteur majeur de l’ingénierie. Le groupe Esso avait demandé à l'origine à la Sogreah de pouvoir réaliser des essais de navigation pour ses pétroliers, mais sur modèle réduit. Cinquante-quatre ans plus tard, Port-Revel possède une flotte de douze navires : navires de croisières, pétroliers et bien sûr porte-conteneurs, comme celui qui a bloqué le Canal de Suez récemment, tous reproduits fidèlement à l'échelle 1/25e.

Port-Revel a déjà formé plus de 7 000 pilotes ou capitaines venus des quatre coins du globe : beaucoup d'Américains, parfois des Thaïlandais, des Australiens ou des Néo-Zélandais, qui déboursent plus de 10 000 euros à chaque semaine de formation. Il existe seulement six autres centres du même genre dans le monde : en Angleterre, en Pologne, en Australie, au Panama et deux aux États-Unis.

"On recrée des situations, comme des avaries de barre"

Avec la pandémie, l'activité est fortement ralentie mais il y a quelques jours, des marins roumains sont venus s’entraîner. Nous embarquons avec eux à bord d'un mini porte-conteneur de 14 mètres. Les stagiaires sont à l'avant, aux commandes, tandis qu`à l'arrière l'instructeur gère avec une grosse télécommande un remorqueur miniature chargé de corriger la trajectoire du navire. L'instructeur s'appelle Marc Barthelemy, 71 ans, autrefois capitaine de remorqueur à Fos-sur-Mer et Marseille pendant 20 ans. "Si on compare, par rapport à un vrai porte-conteneurs, là, on est face à une muraille énorme de 399 mètres, explique-t-il, en décrivant l'obstacle fictif qui s'annonce devant nous. Souvent, à Port-Revel, on recrée des situations : des avaries de barre, une barre qui est bloquée, une machine qui se stoppe..."

Il y a des pilotes qui ont beaucoup d'expérience, et de temps en temps, si on simule trop d'avaries, ils perdent complètement leurs moyens, sont tétanisés et n'arrivent plus à savoir ce qu'il faut faire.

Marc Barthelemy

à franceinfo

"Dans le cas récent du canal de Suez, avance Marc Barthelemy, c'était une succession de petites avaries qui font qu'il a commencé à faire des zigzags, et il a été obligé d'accélérer. En accélérant, il s'est planté dans la berge et s'est enfoncé fortement."

Un instructeur détaille pour franceinfo le fonctionnement du poste de commandement d'un navire reproduit en miniature. (BENJAMIN  ILLY / RADIOFRANCE)

L'expérience ne fait donc pas tout, encore faut-il s’entraîner régulièrement pour ne pas perdre la main et s'adapter aussi à l'évolution du transport maritime. Celui qui en parle le mieux est certainement François Mayor, le directeur de Port-Revel. L'ancien capitaine a parcouru toutes les mers du globe pendant 25 ans et a emprunté de nombreuses fois le canal de Suez.

Conduire un engin comme cela revient à conduire 38 tonnes avec un moteur de mobylette et sur la neige. Votre navire est toujours en train de déraper sur l'eau, avec très peu de puissance.

François Mayor

à franceinfo

"Lorsque ce type de navire est en ligne droite, poursuit-il, vous avez besoin de très peu de puissance pour l'emmener à destination. Mais quand vous avez besoin de cette énergie pour essayer de freiner le navire ou essayer de le faire tourner, vous n'avez que très peu d'énergie. Il faut donc une anticipation absolument énorme et donc de la formation." 

C'est d'ailleurs sans compter l'augmentation des tailles des navires, navires de croisière autant que porte-conteneurs, qui accentue le niveau de risque dans des endroits resserrés. Comme, par exemple, le canal de Suez.

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