"Qu'est-ce qu'on va faire après le Brexit ? Il n'y a plus rien dans les eaux françaises" : le désespoir des pêcheurs de Boulogne-sur-Mer en cas de "no deal"
Dans deux semaines, le 1er janvier, le Royaume-Uni sera sorti de l'Union européenne. Les négociations stagnent entre les deux parties. Au centre, les pêcheurs, qui s'inquiètent pour leur avenir.
C'est le compte à rebours avant le Brexit et une même question demeure : y aura-t-il un "no deal" ? Le Royaume-Uni doit sortir de l'Union européenne au 1er janvier 2021. Mais les négociations ne progressent pas. Parmi tous les professionnels concernés par le Brexit, il y a les pêcheurs. S'il n'y pas d'accord, ils ne pourront pas accéder aux eaux britanniques.
À Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, à quelques milles de la côte anglaise, on peut voir les falaises blanches à l’horizon. Sur le quai Gambetta, derrière le marché aux poissons, apparaît le Laurent-Geoffrey. Un fileyeur de moins de 12 mètres, qui rentre de la pêche. Les poissons sont directement traités sur le quai, surtout des soles, jetées selon leur taille dans des caisses. "Nous, on ne pêche plus rien. Vous avez vu, 7 200 mètres de filet et seulement 20 kg de soles. C'est une catastrophe", lance Laurent Merlin, qui travaille en mer depuis près de 25 ans. C'est le patron du Laurent-Geoffrey. "Je suis 80% de mon année dans les eaux anglaises. On ne pêche plus rien dans les eaux françaises, je ne me vois pas faire mon année", se désole-t-il. "Ici, on est dans la Manche, je fais une heure et demie de route, je suis dans les eaux anglaises. Le périmètre est tout petit pour travailler. On va mourir !"
Moins de poissons dans les eaux françaises
À l’avant du bateau, Jean-Louis Malfoy, matelot depuis 18 ans, vérifie encore une fois l’amarrage : "On a les boules, on a mal au cœur. Qu'est-ce qu'on va faire après ? On a une famille à nourrir. Nous, c'est notre vie. Il n'y a plus rien dans les eaux françaises." En cause : "Les gros bateaux ont tout raclé, déplore-t-il. Les Hollandais, les Belges, les Allemands, faut voir les bateaux qu'ils ont... Des bateaux usines de 300 tonnes !"
À Boulogne-sur-Mer, il reste une trentaine de bateaux. Ils étaient encore 60 il y a cinq ans. Un Brexit sans accord sonnerait le glas de la flotte de pêche. Et pas seulement la flotte, explique Laurent Merlin : "Il y a les magasins aussi qui attendent leur poisson. S'ils n'ont plus notre poisson, ni celui des Anglais, ils auront quoi ? Rien ! Du saumon d'élevage, ou que du poisson d'élevage. Cela ne marchera pas. C'est toute une chaîne qui sera impactée. Et Boulogne, ça fait vivre des centaines et des centaines de famille", explique le pêcheur.
Il lui reste encore 40 000 euros de matériel dans les eaux anglaises, des casiers notamment. À deux semaines de la date fatidique, il aimerait bien savoir s’il doit aller vite les ramasser. Car les Britanniques ont prévenu : sans accord, la Royal Navy veillera. Les pêcheurs boulonnais n’ont pas envie de voir la marine anglaise retrouver de vieilles habitudes en saisissant des navires français.
Une épine dans le pied du trafic routier
La pêche, c’est la question la plus difficile des négociations, selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Mais ce n’est pas la seule. À une trentaine de kilomètres au nord de Boulogne, les files de camions s’allongent sur les autoroutes et les rocades qui mènent à Calais. C’est le terminal de marchandises numéro un pour la Grande-Bretagne. Ici, des milliers de camions embarquent sur des ferries, dans un décor d’autoroutes entourées de murs et de barbelés, parcourues par des escouades de policiers armés de LBD. Ils empêchent les migrants de prendre place à bord des poids lourds.
Ces dernières semaines ont été éprouvantes pour les chauffeurs, comme Gerd. Ce conducteur belge attend depuis deux heures pour aller se garer pour la nuit : "Entre les migrants, les policiers, tout le trafic, toutes ces heures d'attente, c'est difficile", confie-t-il.
"Un camion à l'arrêt, c'est un euro la minute"
À l’approche du Brexit, les entreprises britanniques ont passé des commandes pour faire des stocks et s’épargner, au moins pendant un temps, les formalités supplémentaires et les droits de douane qu’il pourrait y avoir au 1er janvier. Résultat, entre 9 et 10 000 camions par jour arrivent à Calais pour passer la Manche, au lieu de 4 à 5 000. Parfois, les chauffeurs attendent pendant dix heures. C’est un lourd coût pour les entreprises. "Un camion à l'arrêt, c'est un euro la minute. Donc une heure, c'est 60 euros de perte pour l'entreprise qui sont difficilement répercutables sur leur client", explique Sébastien Riveira, de la Fédération des transports routiers du Pas-de-Calais.
Le trafic devrait être moins dense à partir de janvier. Mais ça ne le rassure pas complètement : "Il y aura de nouvelles procédures. Les transporteurs et leurs clients devront opérer des formalités douanières, à l'export, à l'import. Des déclarations de sécurité également. Le port et le tunnel sont des mécaniques qui ne supportent pas le moindre grain de sable." Il poursuit : "Quelques minutes supplémentaires de temps de passage pour les poids-lourds vont générer des files d'attente que l'on connaît aujourd'hui. Il y aura forcément une période de rodage que l'on craint."
Une déclaration de marchandises sur internet
Les douanes ont dû se réorganiser. Elles ont embauché 700 personnes au total dont une partie sera affectée à Calais. Mais les agents évaluent encore mal les possibles conséquences de cette nouvelle frontière. "On ne sait pas si les sociétés de transports sont prêtes pour cette révolution dans l'économie européenne, s'inquiète Gioacchino Garulli, de la CGT régionale douanes. On ne connaît pas le délai de préparation des chauffeurs routiers. Ce sont souvent des routiers qui arrivent de pays de l'est, qui n'ont pas la maîtrise de la langue, ni française, ni anglaise. Il y a aussi la barrière de la langue qui risque d'être un facteur en plus."
Pour fluidifier le trafic, la douane a mis en place une déclaration de marchandises sur internet. Normalement, les chauffeurs doivent donc arriver à Calais avec un code barre pour faciliter leurs démarches. Le port de Calais se dit paré à les accueillir : "Le Brexit pour nous n'est pas synonyme de chaos", promet Jean-Marc Puissesseau, le patron du port de Calais. "Cela fait deux ans que l'on travaille sur la situation, on a travaillé avec les douanes, on a fait des répétitions, je ne suis pas inquiet, je suis serein", assure-t-il.
Le port de Calais, actuellement en travaux, doit quasiment tripler sa surface en mai, ce qui permettra de stocker plus de camions, et faciliter les éventuels contrôles douaniers.
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