Cet article date de plus de six ans.

Mauvaise passe pour les géants de la tech : "La confiance des utilisateurs est en cause", pour Nicolas Colin (The Family)

Nicolas Colin, le co-fondateur de la société d'investissements dans les start-up, The Family, était l'invité de "L'interview éco", vendredi sur franceinfo, pour évoquer l'actualité des grandes valeurs technologiques.

Article rédigé par franceinfo, Jean Leymarie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
 

Tesla, Amazon, Facebook... Toutes ces grandes sociétés technologiques sont malmenées depuis quelques temps à la bourse de New York. Elles ont perdu beaucoup de leur valeur. Le doute s'installe, même si certaines de ces valeurs ont repris des couleurs ces derniers jours. Nicolas Colin, l'invité de "L'Interview éco" vendredi 6 avril, est l'un des experts français de l'économie numérique. Il a co-fondé The Family, une société d'investissements dans les start-up. 

franceinfo : Selon vous, cette tempête boursière est un accident ou le début de quelque chose de beaucoup plus grave ? 

Nicolas Colin : Je pense que la bourse s'emporte toujours plus qu'il ne faut, donc il ne faut pas sur-interpréter les signaux qui viennent de là. En revanche, je pense que pour la Silicon Valley et toutes ces grandes entreprises numériques, le contexte a radicalement changé il y a quelques temps avec l'élection de Trump à la Maison Blanche. Ce qui les servait avant, c'est qu'elles étaient en partie identifiées à l'Amérique d'Obama parce qu'elles étaient très proches de l'ancien président. Quand on voyait ces entreprises numériques, elles bénéficiaient du halo de bienveillance qui allait avec Obama, à la fois aux États-Unis vis-à-vis de la gauche américaine, et à l'étranger. Aujourd'hui les États-Unis, c'est devenu Trump et du coup il y a beaucoup plus de défiance à l'étranger.

Vous mettez donc en avant un facteur politique, plutôt qu'économique ou financier...  

J'en suis convaincu. Les sujets qui sont sur la table et qui génèrent toutes ces controverses existaient déjà avant, mais, aujourd'hui, ils prennent une ampleur démesurée aujourd'hui parce que le contexte politique a changé et ces entreprises sont perçues comme une sorte d'excroissance d'un pays qui fait peur, qu'on ne comprend plus vraiment. Même la gauche américaine a de la défiance qui n'existait pas avant : avant elle était plutôt favorable à la Sillicon Valley et aujourd'hui, ce n'est plus vraiment le cas parce qu'elle identifie ces entreprises comme ayant joué un rôle dans l'élection de Trump. Donc, il y a beaucoup de ressentiments qui existent depuis longtemps de la part de la droite américaine et un ressentiment plus nouveau de la part de la gauche américaine : elles ont un peu tout le monde contre elles et cela explique la crise actuelle. 

Qu'est-ce qui vous frappe le plus parmi toutes ces histoires ? Celle de Facebook, confronté à une grave crise sur les données personnelles, celle de Tesla qui n'arrive pas à produire autant de voiture qu'elle avait promis de le faire ou celle d'Amazon qui est dans le collimateur de Donald Trump ?

Je pense que la crise la plus révélatrice est celle de Facebook parce que ce sont des choses qu'on savait tous depuis longtemps : ce modèle qui a longtemps consisté à aménager un accès à des tierces parties aux données des utilisateurs et puis ce modèle de financement par la publicité qui repose sur une bonne connaissance des utilisateurs. Tout cela, on le savait avant. Mais aujourd'hui, parce que Facebook a joué un rôle critique dans l'élection de Trump, cela prend un relief complètement inattendu et beaucoup plus inquiétant que ce qui existait avant. Pour moi, c'est la crise qui révèle le mieux le changement de contexte politique. La crise entre Amazon est Trump est plus conjoncturelle... 

Trump pilonne Amazon en ce moment, tweets après tweets...  

Chaque crise a ses raisons et ressorts particuliers. La crise entre Trump et Amazon a deux raisons. D'abord Jeff Bezos, le patron d'Amazon, possède le Washington Post, l'un des grands quotidiens américains, orienté plutôt à gauche et très critique vis-à-vis de l'administration Trump. Du coup, Trump a pris en grippe Amazon. Mais, il y a une autre raison qui est, dit-on, qu'Amazon crée des problèmes pour le commerce traditionnel : Amazon a précipité la crise des grands centres commerciaux américains. Les gens vont de moins en moins dans les centres commerciaux parce qu'ils achètent de plus en plus en ligne sur Amazon. Trump, qui est lui-même, historiquement, un promoteur immobilier, a beaucoup d'amis dans la promotion immobilière : tous ces gens-là sont en train de perdre beaucoup d'argent du fait de la crise des centres commerciaux.

Concernant la chute financière de plusieurs de ces valeurs, est-ce qu'à votre avis, les investisseurs attendent trop de ces sociétés ? 

Je dirais oui et non. Ce sont des sociétés qui développent un modèle nouveau. Et parce que c'est nouveau, on ne comprend pas encore très bien le modèle. On comprend comment elles gagnent de l'argent, mais on ne sait pas encore jusqu'où elles peuvent grandir, dans quelle mesure elles vont rester encore longtemps profitables et à quel moment vont arriver de nouveaux concurrents qui vont les mettre en danger. Du coup, les investisseurs marchent toujours sur des œufs : ils ont envie de parier sur elles, mais ils sont attentifs aux moindres signaux qui suggèrent qu'elles ne vont peut-être pas réussir aussi bien que prévu. Après, ces entreprises restent quand même celles qui vont dominer le monde de demain parce que notre économie va être de plus en plus numérique.

N'y a-t-il pas aussi un problème de société ? Car, ce qui se joue derrière, c'est la manière dont nous, citoyens, consommateurs, percevons ces géants de la tech... 

C'est vrai. Je pense d'ailleurs qu'au cœur de leur modèle d'affaires, il y a la confiance des utilisateurs. On est, littéralement, des milliards à utiliser tous les jours les services de ces entreprises. Je pense que [cette confiance] est en cause parce que, justement, ce mauvais vent politique a créé une sorte de défiance. On se pose tous des questions. Le simple fait de se poser des questions mine un petit peu la confiance. Et parce qu'on a moins confiance, on va être plus réticent à laisser ces entreprises collecter nos données personnelles. Et parce qu'elles collecteront moins de données personnelles, elles pourront moins bien nous rendre service. Et parce que le service va se dégrader, on va du coup avoir encore moins confiance. Donc, il y a une sorte de cercle infernal qui est en train de se mettre en marche où la baisse de confiance entraîne une dégradation de la qualité qui entraîne elle-même une baisse de confiance. C'est en vrai danger pour ces entreprises. C'est pourquoi, on les voit un peu paniquer en fait et qu'elles cherchent à tout prix à reprendre l'initiative et à se réconcilier avec leurs utilisateurs. 

Peuvent-elles y arriver ?  

Je pense qu'elles peuvent y arriver parce qu'elles ont quand même un souci aigu de la qualité du service qu'elles rendent. Elles sont porteuses de valeurs qui sont malgré tout positives et progressistes. Mais, elles jouent gros. Elles doivent apprendre à manœuvrer dans la tempête, ce à quoi elles n'étaient pas trop habituées jusqu'ici parce que tout allait bien sous Obama. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.