Europe : "Si on veut vraiment une Union européenne, il faut s'unir véritablement", estime l'économiste Jézabel Couppey-Soubeyran

Le traité de Maastricht est entré en vigueur il y a 30 ans, le 1er novembre 1993. Il a notamment permis la création de l'euro mais qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, conseillère scientifique à l’institut Veblen, est l'invitée éco de franceinfo.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, conseillère scientifique à l’institut Veblen et maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. (franceinfo)

Voilà 30 ans que le traité de Maastricht est entré en vigueur, le 1er novembre 1993. Il est le texte fondateur de l'Union européenne puisqu'il a notamment fait avancer l'intégration européenne et l'intégration monétaire, en amorçant la création de l'euro. Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste et conseillère scientifique à l’institut Veblen et maîtresse de conférences à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, revient sur les changements qu'il a provoqués au micro de franceinfo.


franceinfo : Avec le recul, est-ce que le traité de Maastricht a fait entrer l'Union européenne dans une nouvelle ère ?

Jézabel Couppey-Soubeyran : Bien sûr, c'est une étape majeure. Le traité de Maastricht a posé les jalons de l'Union économique et monétaire qui institue l'euro, qui institue la Banque centrale européenne et qui institue le système européen de banque centrale. Donc c'est une étape importante, mais avec finalement quand même pas mal de trous dans la raquette. C'était un traité qui s'est beaucoup concentré sur les conditions d'adhésion à la monnaie unique en fixant les fameux critères de convergence et les critères budgétaires, qui sont demeurés ce qu'ils étaient dans le traité de Maastricht encore aujourd'hui. Il y a notamment le critère de déficit public qui ne doit pas dépasser 3% du produit intérieur brut.

Sachant que pour la France, ce sera 4,9%.

Oui parce qu'il y a eu des gestions de crise entre-temps. Il y a également ce fameux critère de dette publique ne devant pas dépasser 60 % du produit intérieur brut et celui-ci aussi, on l'a considérablement dépassé. Donc il y avait ces critères de convergence que les pays candidats à l'euro devaient respecter pour pouvoir adopter l'euro. Le problème, c'est que dans le traité, rien n'a été prévu pour les cas de divergence après l'adoption de la monnaie unique. Or des divergences, il y en a eu.

Comment se porte l'Union aujourd'hui ? L'euro a quand même traversé quelques zones de turbulences. Vous diriez qu'elle est achevée, en construction ou est-ce que vous diriez que ça dépend ?

Je dirais que c'est une union très incomplète, précisément parce qu'il n'a pas été prévu dans le traité comment poursuivre l'Union. Il y a eu une sorte de pari finalement, dans ce traité de Maastricht, d'une union spontanée qui se ferait d'elle-même une fois la monnaie unique adoptée. Donc on n'a pas jugé bon d'accompagner cette union monétaire d'abord par une union bancaire, c’est-à-dire en surveillant à l'échelle européenne les banques de la zone euro qui mettent en circulation l'euro. Il a fallu la crise des dettes souveraines, qui a failli faire exploser la zone euro, pour qu'on en vienne à mettre en place cette union bancaire à partir de la fin 2012. Mais cette union bancaire est aussi incomplète. Donc on surveille les banques à l'échelle de la zone euro et on a prévu un dispositif pour résoudre leurs difficultés en cas de crise. Mais il y a encore une incomplétude au niveau de la garantie des dépôts et surtout ce qui manque, c'est l'union budgétaire et l'union fiscale. Rien n'est prévu pour mener vraiment une politique budgétaire digne de ce nom à l'échelle européenne.

L'union fiscale, c'est un vœu pieux ?

Malheureusement oui, ça semble l'être jusqu'à présent puisque l'Union européenne a laissé en son sein prospérer des paradis fiscaux et a laissé également se maintenir une course au moins-disant fiscal. Donc c'est assez dramatique. 

"Il n'y a pas d'union budgétaire, pas d'union fiscale et pas d'union politique donc ça fait quand même une union très incomplète et assez bancale."

Jézabel Couppey-Soubeyran

Elle n'a pas véritablement les moyens de réaliser les transformations majeures qu'on a besoin de réaliser a minima à l'échelle européenne, face notamment à la crise écologique.

Pourtant, il y a un pacte vert, de l'Union ?

C'est vrai, il y a un pacte vert et c'était quand même une initiative très importante. Mais, c'est un pacte vert qui vivote en ce moment, qui connaît des difficultés et sur lequel on est en train un peu de revenir. Il y a eu, certes, une initiative de financement dans le cadre du plan de relance européen, au moment de la gestion de la crise sanitaire, en termes de mutualisation du financement puisque la Commission européenne a lancé un emprunt commun au nom de l'Union européenne. Par contre, ça n'a été accepté qu'à la condition de ne pas renouveler l'opération. Donc il n'y a pas de ressources communes et pas d'impôts communs pour mener une politique d'investissement majeur, permettant de mener à bien ce fameux pacte vert qui est pourtant essentiel.


Une réforme des règles budgétaires européennes est dans les tuyaux. Est-ce que vous les voyez évoluer ? Est-ce qu'il faut qu'elles évoluent ?

Il faudrait qu'elles évoluent. Il faudrait que ces règles soient sans doute beaucoup moins quantitatives et plus qualitatives, qu'elles adoptent sans doute un régime un peu privilégié, notamment pour les investissements dans la transition écologique. Mais je crains vraiment que ces règles ne soient amendées qu'à la marge et restent ce qu'elles sont. Donc on va rester dans une sorte de triangle infernal des finances publiques européennes, avec en effet des ressources très limitées et une capacité de financement très limitée. On a toujours aussi cette course au moins-disant fiscal qui, malgré tout, se poursuit. Donc si on veut vraiment une Union européenne, il faut plus d'Europe, il faut s'unir véritablement. Sinon, malheureusement, les bases ne sont pas suffisamment solides et tout ça risque fort un jour de voler en éclats.

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