Éducation : améliorer le système scolaire est "plus facile à faire" avec "un personnel qui se sent considéré", selon l'économiste Esther Duflo
L'économiste franco-américaine Esther Duflo a été prix Nobel d'économie en 2019, et est professeur au MIT (États-Unis) et au Collège de France. L'éducation est le sujet d'un cycle de conférences qui va se tenir au Collège de France (entrée gratuite), alors que le tout nouveau Premier ministre Gabriel Attal vient de quitter ce ministère.
franceinfo : Gabriel Attal a été à ce poste pendant moins de six mois. Un passage éclair après "un tourbillon d'annonces médiatiques", a dit tout à l'heure la secrétaire générale du premier syndicat des collèges et lycées, le SNES-FSU, sur franceinfo. Quel signal envoie cette nomination aux professeurs et aux élèves, selon vous ?
Esther Duflo : Je pense que la manière dont ça a été reçu, c'est que le ministère de l'Éducation a servi plus de tremplin que d'endroit où construire un projet. Tous les projets d'éducation, ça prend forcément beaucoup de temps à se réaliser. Là, ils ont à peine été lancés.
Un certain nombre de projets ont effectivement été lancés. Ce cycle de conférences qui s'intitule "Agir pour l'éducation", c'est vous qui l'organisez cette année. Sur le site du Collège de France, il est indiqué que l'initiative est née, en 2022, de la volonté des professeurs d'agir face à la situation de crise que traverse le système éducatif français. Ce système ne tient pas ses promesses aujourd'hui ?
Le système éducatif français est en difficulté. Ça a été révélé récemment par l'enquête internationale PISA, qui a montré un déclin des performances en fin de collège, puisque ce sont des enfants de 15 ans. Il faut néanmoins relativiser ce déclin, qu'on observe dans tous les pays de l'enquête PISA et qui est probablement lié, au moins en partie, au dérangement qui a eu lieu pendant l'épidémie de Covid-19.
La France recule, 22ᵉ aujourd'hui en maths sur les 32 pays de l'OCDE, 24ᵉ en compréhension de l'écrit, avec des inégalités scolaires qui sont très fortes.
Elle recule et elle part d'un niveau faible. L'enquête PISA existe depuis 2000 et depuis 2000, la France y a un score moyen relativement faible et ce qui est encore plus inquiétant, des scores qui sont très hétérogènes. On a d'excellents élèves, qui réussissent très bien au PISA, et on a beaucoup d'élèves en grande difficulté. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que ces difficultés sont extraordinairement corrélées avec l'origine sociale. La France est le pays de l'OCDE où l'origine sociale est la plus prédictive des succès ou des difficultés en éducation.
Pour y remédier, on a vu parmi les chantiers lancés par Gabriel Attal, la mise en place de groupes de niveau en math et en français, pour les classes de sixième et de cinquième, dès la rentrée prochaine. Est-ce que c'est une bonne idée ?
La vérité, c'est qu'on ne le sait pas, parce que cela a très peu été évalué, et ça n'a jamais été évalué dans les circonstances spécifiques du système français. Pour la recherche qui a été cataloguée par le laboratoire "Idée" à l'école d'économie de Paris, les expériences qui ont eu lieu dans d'autres pays ne sont pas concluantes pour les groupes de niveau permanents. Ce qu'on sait être très efficace, c'est l'attention portée à chaque élève dans des groupes de niveau beaucoup plus fluides. Mais les groupes de niveau figés, non.
Alors ils ne sont pas figés, on peut passer d'un groupe à un autre.
Ce qui n'est pas figé, c'est la description qui en a été donnée ! Parfois, ça s'appelle "groupes de besoins" avec l'idée que ce n'est pas figé, mais dans les annonces, c'était plutôt "groupes de niveau". Et comme Gabriel Attal n'est plus là pour superviser la manière dont ce sera mis en œuvre, on ne sait pas exactement. C'est pour ça que ce cycle de conférences est sur l'expérimentation. Lancer une idée en faisant d'abord une véritable expérimentation, ça aurait été une approche raisonnable.
Donc ce que vous préconisez, c'est plutôt d'aborder les questions des inégalités scolaires de manière empirique, à travers des expérimentations, et ensuite de voir si elles fonctionnent ou pas.
Voilà, il faut commencer par là. Par ailleurs, un autre sujet sur lequel on n'a même pas besoin d'expérimentations, c'est qu'une autre caractéristique de la France est d'être un des pays de l'OCDE où la rémunération des enseignants est la plus faible par rapport aux autres gens de même niveau d'éducation. Les pays de l'OCDE, où les enfants font le mieux, comme par exemple la Corée du Sud, sont les pays où les enseignants sont les mieux payés. Alors ça ne veut pas dire qu'il y a un rapport immédiat de cause à effet entre les salaires des enseignants et les performances. Mais il y a quand même une réalité en France, qui est que le collège est depuis longtemps, peut-être depuis toujours, le parent pauvre du système éducatif. Il y a plus de d'efforts, d'imagination et de ressources concentrées sur le primaire et sur le lycée. Donc cette attention sur le collège dans les annonces de Gabriel Attal était probablement très bienvenue. C'était bien qu'on s'attaque enfin au collège. Mais la priorité absolue, c'est de recruter. Or, on n'arrive pas à recruter aujourd'hui les besoins minimaux, les concours de recrutement ne sont pas pourvus. Parce que la profession d'enseignant n'est pas attractive aujourd'hui en France.
Donc il faut augmenter les rémunérations. Ça a été mis en œuvre aussi avec le fameux pacte.
Ça a été mis en œuvre, mais de manière partielle, de manière conflictuelle. Pour faire passer la France au niveau moyen de l'OCDE, il faut commencer par avoir une augmentation de rémunération inconditionnelle. À partir de là, on aurait pu se mettre dans une position plus sereine, pour commencer à s'interroger sur les problèmes au collège, pourquoi ces inégalités se perpétuent ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Expérimentons comme ci ou comme ça... C'est beaucoup plus facile de le faire, dans un environnement où il y a le personnel pour le faire. Avec un personnel qui se sente considéré et pas traité comme la cinquième roue du carrosse à tous les tournants possibles.
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