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Vrai ou faux Les enseignants gagnent-ils vraiment entre 125 et 250 euros de plus depuis la rentrée, comme l'a assuré Gabriel Attal ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao, Pauline Paillassa
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, quitte l'Elysée après avoir assisté au Conseil des ministres, le 13 septembre 2023 à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Les chiffres avancés par le ministre incluent non seulement les bénéfices d'une revalorisation spécifique à l'Education nationale, mais aussi ceux de la hausse du point d'indice, qui a profité à tous les fonctionnaires en juillet.

Le salaire du mois de septembre est tombé. Pour les enseignants du secteur public, c'est l'occasion de vérifier si les promesses du gouvernement sur la revalorisation de leur rémunération ont été tenues. A la veille de la rentrée scolaire, le ministre de l'Education nationale avait assuré, sur France Inter, qu' "en septembre 2023, chaque enseignant [gagnerait] 125 euros net de plus par mois, par rapport à la rentrée 2022, et jusqu'à 250 euros (...) selon le degré d'ancienneté".

Gabriel Attal n'a pas manqué de rappeler cette "revalorisation inédite", jeudi 28 septembre, sur TF1. Mais tous les enseignants ont-ils réellement perçu 125 à 250 euros net en plus en septembre ?

La hausse du salaire des enseignants, promise par Emmanuel Macron en 2022, comporte deux volets. Le premier correspond à une augmentation de la partie dite "socle" de la rémunération, qui concerne tous les enseignants sans conditions. Elle comprend le doublement de deux primes : l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae), pour les enseignants du premier degré, et l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (Isoe), dans le second degré. La prime d'attractivité est également revalorisée pour les enseignants se trouvant dans les quinze premières années de leur carrière, d'un montant dégressif selon le niveau d'ancienneté.

Le gouvernement considère comme un second volet de revalorisation le "pacte" proposé aux enseignants depuis la rentrée : ceux qui l'acceptent s'engagent à des missions supplémentaires en échange d'une prime. Mais ce "pacte" est facultatif. Pour l'instant, seul "un enseignant sur quatre a signé", relevait Gabriel Attal le 28 septembre.

"Quelques trous dans la raquette"

"Les promesses sur les salaires de septembre sont effectives", assure à franceinfo Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, un syndicat de l'enseignement professionnel. " Je vous confirme que c'est bien arrivé pour tous." Après avoir effectué un sondage auprès de 231 enseignants, le représentant syndical constate que la grande majorité a été augmentée des montants attendus. "Globalement, c'est appliqué comme annoncé, mais il y a quelques trous dans la raquette", observe Jérôme Fournier, secrétaire national du syndicat SE-Unsa. "J'ai eu quelques retours de collègues", témoigne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, un autre syndicat. " Plusieurs sont venus me dire : 'Je ne comprends pas. Je n'ai pas exactement ce qui m'a été annoncé.'"

Parfois, les surprises sont liées à des facteurs qui ne dépendent pas de l'Education nationale.  "J'aurais dû toucher 129 euros net de plus par mois. Mais ce mois-ci, j'ai eu 40 euros", témoigne ainsi Caroline*, professeure documentaliste dans un lycée général de l'académie de Lille. En vérifiant sa fiche de paie, elle constate que son indemnité de professeure documentaliste est bien passée de 83,5 à 212,5 euros. Mais ce gain de 129 euros a été en grande partie grignoté par son changement de situation fiscale : "J'ai eu une augmentation de mon taux de prélèvement à la source, explique Caroline. Et je n'ai plus l'un de mes enfants à charge."

Anaïs*, professeure stagiaire dans un établissement professionnel de l'académie de Normandie, a, elle aussi, été déçue. "Le verdict est tombé pour ma paie en septembre : 1 919 euros. Ils sont où, les 2 000 euros minimum pour tous les enseignants ?", s'interroge-t-elle. L'an dernier, Emmanuel Macron avait certes promis qu'aucun professeur ne commencerait sa carrière à moins de 2 000 euros net mensuels à la rentrée 2023. Mais cet engagement ne concerne finalement que les enseignants titulaires.

Une majorité d'enseignants revalorisés de 95 euros

Dès avril, un document du ministère de l'Education nationale révélé par plusieurs médias, dont franceinfo, prévoyait que la rémunération nette des enseignants titulaires du public augmenterait en moyenne de 5,5% en septembre 2023 par rapport à un an plus tôt. Les 10% de hausse promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne ne sont atteints qu'en ajoutant les gains liés au "pacte", facultatifs et conditionnés à des tâches supplémentaires. Cette estimation cache par ailleurs des disparités importantes au cas par cas.

D'après ce document ministériel, les enseignants bénéficiant de la revalorisation salariale "socle" la plus importante, soit un gain de 222 euros net mensuels (+11,2% par rapport à septembre 2022), sont ceux qui relèvent du grade "classe normale" et dont l'ancienneté est comprise entre 6 ans et 8 ans et demi. Cela ne concerne que 3,9% des effectifs totaux. Dans les faits, une minorité (14,5%) doit bénéficier de plus de 200 euros net depuis le mois de septembre, tandis qu'une grande majorité (67,4%) touche une revalorisation de 95 euros net mensuels.

Comment expliquer, alors, que le ministre de l'Education nationale arrive à un minimum de 125 euros net mensuels de revalorisation salariale pour les enseignants ? "Gabriel Attal englobe l'augmentation du point d'indice" sur lequel est indexée la grille de rémunération de toute la fonction publique, explique Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du Snes-FSU. "Les mesures d'augmentation de la rémunération 'socle' annoncées au printemps par l'Education nationale, plus l'augmentation du point d'indice, cela fait passer l'augmentation minimale de 95 à 125 euros", analyse-t-elle. Un mode de calcul confirmé par le ministère auprès de   20 Minutes  et   Libération .

Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guérini, avait en effet annoncé en juin une hausse de 1,5% de la valeur du point d'indice pour les agents publics. Postérieure au document qui détaillait les augmentations des enseignants, elle n'y était donc pas prise en compte. "Ce n'est pas spécifique à l'Education nationale. C'est l'ensemble des fonctionnaires. Donc c'est un peu exagéré de le présenter comme une mesure de revalorisation dans l'Education nationale", estime Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa. Le leader syndical soupçonne le ministère de choisir un mode de calcul qui avantage sa communication.

Une prime exceptionnelle, mais pas si nouvelle

Pour embellir encore le tableau de la rentrée des enseignants, Gabriel Attal a également évoqué sur TF1 une "prime exceptionnelle de pouvoir d'achat" . Elle sera versée en octobre à 500 000 enseignants, qui toucheront en moyenne 380 euros, et 230 000 autres agents du ministère de l'Education nationale, dont la prime s'élèvera en moyenne à 500 euros.

Mais, une fois encore, cette mesure avait déjà été annoncée, en juin, par Stanislas Guérini, et ne concerne pas que les enseignants. Cette prime sera versée en une fois, à l'automne, aux fonctionnaires gagnant moins de 3 250 euros par mois, et son montant ira de 300 à 800 euros brut. Le décret qui permet sa création a été publié fin juillet, deux mois avant l'interview de Gabriel Attal.

"Au niveau des enseignants, ça ne passe pas du tout. Ils savent bien ce qu'ils ont sur leur fiche de paie", réagit Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU, un syndicat du premier degré. " On ne parle pas des 20 ans de déclassement salarial, et de perte de pouvoir d'achat. Ces mesures ne vont pas rattraper notre retard sur la moyenne des salaires européens", déplore la porte-parole syndicale. Le salaire de milieu de carrière d'un enseignant français reste inférieur de 15% à la moyenne des pays de l'OCDE, selon le rapport Regards sur l'éducation 2023 de l'organisation.

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.

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