"Durcir les règles de l'assurance-chômage, ça ne crée pas d'emplois", affirme l'économiste Bruno Coquet

Alors que le gouvernement veut faire évoluer les règles de l'assurance-chômage, notamment pour inciter à la reprise d’emploi, pour l'économiste Bruno Coquet, "on ne peut pas démontrer qu'il y a un problème de retour à l'emploi sur les chômeurs indemnisés".
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Bruno Coquet le 26 mars 2024. (FRABCEINFO / RADIOFRANCE)

L'assurance-chômage est dans le viseur du gouvernement. Un séminaire gouvernemental consacré au travail est organisé mercredi 27 mars à Matignon. Le Premier ministre, Gabriel Attal, prendra ensuite la parole le soir dans le journal de 20h de TF1.

"Si l'assurance-chômage est généreuse, par exemple, si elle couvre bien les emplois risqués, les gens sont plus prompts à accepter des emplois risqués", déclare mardi sur franceinfo l'économiste Bruno Coquet, spécialiste des politiques du marché du travail.

franceinfo : Avez-vous entendu la petite musique qui revient régulièrement et avec insistance ces derniers temps : durcir les règles de l'assurance-chômage favorise le retour à l'emploi ? Qu'en pensez-vous ?

Bruno Coquet : D'abord, durcir les règles de l'assurance-chômage, ça ne crée pas d'emplois. Donc on peut déjà dire ça. Ensuite, l'assurance-chômage dans le débat public, c'est toujours trop. Dans la littérature économique, ce n'est pas trop, c'est un optimum. Trop, ce n'est pas bien parce qu'effectivement, ça ralentit le retour à l'emploi, mais pas assez, ce n'est pas bien non plus parce que ça oblige les gens à reprendre un emploi très rapidement. Et le premier qui vient, en quelque sorte. Ça leur fait perdre de leur capital humain, pour résumer les choses de manière très courte. Et donc, est-ce que ça va favoriser le retour à l'emploi ? Ce qui est sûr, c'est que ça va diminuer les dépenses de l'assurance-chômage pour les gens qui arrivent au bout de leurs droits. Après, ça ne veut pas dire qu'au bout de leurs droits, ils auront retrouvé un emploi, surtout dans la conjoncture actuelle.

L'économiste Gilbert Cette écrit aujourd'hui dans les colonnes de Sud Ouest que durcir les règles de l'assurance-chômage fait partie de la solution. "La France dispose de règles très, très avantageuses quand on se compare aux autres pays de l'OCDE", écrit-il.

Pour le moment, on ne peut pas démontrer qu'il y a un problème de retour à l'emploi sur les chômeurs indemnisés. Il n'y a pas d'éléments qui montrent ça aujourd'hui, a fortiori depuis les réformes qui ont été faites dans les cinq dernières années.

Sachant que moins d'un chômeur sur deux est indemnisé.

Oui.

"Il faut toujours se demander pourquoi les chômeurs non indemnisés ne reprennent pas d'emploi. Ce n'est pas parce qu'ils sont trop indemnisés."

Bruno Coquet

sur franceinfo

La deuxième chose, c'est que l'assurance-chômage en France est très chère, elle est deux fois plus chère que dans le deuxième pays le plus cher de l'OCDE. C'est près d'un mois de salaire net par an.

Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, préconise de ramener la durée d'indemnisation des seniors de 27 à 18 mois, comme pour les autres demandeurs d'emploi.

Comme pour les autres demandeurs d'emploi, il ne peut pas démontrer qu'aujourd'hui, il y a un problème de seniors qui ne reprennent pas d'emploi parce qu'ils seraient trop indemnisés à l'assurance-chômage. On ne peut pas démontrer ça.

Ça ne favorise pas le retour à l'emploi, ça ne fait pas augmenter le taux d'activité non plus. Le problème des seniors, c'est leur taux d'activité qui est très faible par rapport aux autres pays européens.

Ça ne le fait pas augmenter, on peut même dire que ça le fait baisser. Dans la littérature économique, vous avez énormément d'éléments qui montrent que si l'assurance-chômage est généreuse, par exemple, si elle couvre bien les emplois risqués, les CDD, etc, les gens sont plus prompts à accepter des emplois risqués et donc dans des entreprises innovantes qui créent des contrats courts, etc. Et on peut avoir des effets dans l'autre sens. La littérature le montre très bien.

"On ne peut pas montrer qu'en ce moment dans le système français, il y a un aléa moral pour les seniors."

Bruno Coquet

sur franceinfo

D'autant plus qu'il faut avoir en tête que souvent est invoquée cette règle de prolongation des droits des seniors jusqu'à ce qu'ils aillent à la retraite à taux plein. Mais aussi, l'Unédic met les seniors en retraite d'office. C'est-à-dire que si vous acquérez 27 mois de droits à un mois d'avoir les droits à la retraite à taux plein, qu'est ce qui se passe au bout d'un mois ? L'Unédic vous met à la retraite d'office, c'est-à-dire que vous n'avez pas ces droits. Et ça, c'est un point très important à comprendre.

D'après les chiffres de l'Insee publiés ce matin, le déficit pour 2023 atteint 5,5% du PIB. "Nous allons poursuivre sur la voie de la rigueur et de la responsabilité, avec toujours un fil rouge, celui du travail", a dit tout à l'heure Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, et il a cité la réforme de l'assurance-chômage.

On ne voit pas en quoi ça fait plus de travail. Et par rapport à l'idée que le travail doit plus payer que l'inactivité, pour moi, je pense que tout le monde est d'accord là-dessus.

"Mais avec toutes les réformes qui ont été faites, ce n'est pas que le travail paie plus, c'est que l'inactivité paie moins."

Brunot Coquet

sur franceinfo

Or, on a un problème de pouvoir vivre de son salaire, y compris quand on est à taux plein. Et les gouvernements, depuis longtemps, donnent des compléments de salaire avec de la prime d'activité, plus récemment des chèques, aux gens qui travaillent à temps plein. Donc c'est ça le vrai problème : diminuer les assurances sociales. Parce que ce sont bien des assurances, et pas des aides - qui n'apportent pas plus d'emplois et ne rémunèrent pas plus le travail.

Le gouvernement veut reprendre la main sur la gestion de l'Unédic. Qu'en pensez-vous ?

Pour moi, il a fait moins bien que les partenaires sociaux jusqu'à présent. La gestion des partenaires sociaux était certainement critiquable. Jusqu'à présent, l'État prend juste dans la caisse, pour faire très court. Et donc du coup, il prend dans la caisse d'une assurance sociale. Il pourrait vouloir diminuer les droits pour inciter les chômeurs à reprendre des emplois vite, mais il devrait baisser les cotisations. C'est ça la bonne gestion. Là, dans une période où ça allait plutôt bien, ce qu'il a fait, c'est qu'il a pris les excédents. Excédents dont il y a besoin dans une assurance de ce type-là pour faire face aux déficits qui ne manqueront pas de se produire si le chômage a augmenté.

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