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Histoires d'info. Le vin, "un alcool pas comme les autres" : une longue tradition française

Les paroles de Didier Guillaume, mercredi, sur le vin qui ne serait "pas un alcool comme les autres", s'inscrivent dans une longue tradition française.

Article rédigé par Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Des bouteilles de vin, le 1er juin 2015, à Paris.  (CITIZENSIDE / AURELIEN MORISSARD / AFP)

"Le vin n'est pas un alcool comme les autres", a déclaré le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume, sur BFMTV, mercredi 16 janvier. Si l'argument sur les cuites des jeunes est pour le moins critiquable, sur le fond, en effet, pour des raisons culturelles, le vin n'est pas un alcool comme les autres en France. Les propos du ministre s’inscrivent dans une longue histoire.

L’histoire bégaye parfois merveilleusement. Il y a 35 ans, autre menace sur le vin, vous vous souvenez sûrement de la publicité pour lutter contre l'alcoolémie : "Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts !" En 1984, cette publicité choque parce que derrière l’attaque contre l’alcool, c’est bien une attaque contre le vin dont il s’agit.

Monte alors au front un socialiste, comme Didier Guillaume, un parlementaire, comme Didier Guillaume, un élu de la Drôme comme Didier Guillaume, il s’appelle Henri Michel, et c’est un proche de François Mitterrand : "J'ai écrit à Pierre Mauroy pour qu'il mette le pied sur la pédale, c'est pas normal. C'est une campagne anti-vin!"

Le vin, rempart de l'identité française

Le vin a longtemps été paré de toutes les vertus et notamment d’être le symbole de l’identité française. Toute attaque contre le vin, c’est une attaque contre la France elle-même.

Cette idée, elle est notamment très enracinée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La gauche communiste se déchaîne contre le plan Marshall et l’américanisation de la France. Le journal L’Humanité parle de "Coca-Colonisation", regrettant sans doute qu’un pharmacien d’Atlanta, John Pemberton, ait eu l’idée de remplacer le vin par l’eau pétillante, créant ainsi le Coca-Cola en lieu et place du "French wine coca", l’invention d’un chimiste corse dans les années 1870.

En 1946, lors d’une manifestation contre la pénétration du cinéma américain en France, l’acteur Louis Jouvet déclare : "Faits aux vins de Bourgogne et de Bordeaux, nos estomacs devront désormais s'accoutumer au Coca-Cola. Cela revient en somme à abdiquer notre qualité de Français."

Vous le voyez, le lien entre vin et identité est très puissamment évoqué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le vin c'est le bon alcool, celui des adultes, celui des bons français. Ce que montre avec beaucoup d'humour Coluche ("Et pis le pinard, c'est pas interdit que je sache !") Cela illustre aussi les propos de Didier Guillaume qui suggère que l'alcool c'est un problème de jeunes, et que comme ils ne boivent pas de vin, eh bien le vin ce n'est pas de l'alcool. 

Le vin, c'est bon pour la santé (ou pas)

Il y a bien sûr l’idée fausse qu’un verre de vin est bon pour la santé. Mais pour mesurer d’où l’on vient, bien avant 1991 et la loi Evin qui encadre strictement la publicité pour l’alcool, un best-seller sortait en France à la fin des années 1970. Son titre : Soignez-vous par le vin, son auteur, un mystérieux docteur Maury, qui s'est amusé avec Stéphane Collaro, sur Antenne 2 en janvier 1977 : "Je vous conseille pour le foie deux verres de Bourgogne à jeu et pour les reins, un Muscadet. Malheureusement ce n'est pas encore remboursé. Le vin n'est pas considéré comme un remède alors qu'il l'est."

On vient de loin ! Mais les propos du ministre de l’Agriculture nous montrent qu’il reste du chemin à parcourir, et précisément parce que nous venons de si loin.

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