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Histoires d'info. Philip Roth, l'écrivain qui a voulu montrer la face cachée de l'Amérique

Observateur lucide de la société américaine et de ses travers, l'écrivain américain Philip Roth est mort mardi à 85 ans.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
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Temps de lecture : 2 min
En 2011, le président américain Barak Obama (droite) remet la médaille nationale des Humanités à l'écrivain Philip Roth (gauche) lors d'une cérémonie à la Maison Blanche, à Washington (États-Unis). (JIM WATSON / AFP)

Les historiens ne peuvent pas toujours raconter aussi bien que les écrivains l'histoire de la nation si complexe et mythifiée qu'est l'Amérique. Philip Roth, décédé mardi 23 mai à 85 ans, était de ceux-là. Il racontait qu'il avait voulu traverser le mur de la réalité américaine, cette image préconçue des États-Unis, mais aussi de son identité juive.

Il avait voulu aller de l'autre côté. Il y est allé en se fracassant sur ce mur, comme il l'expliquait en 2015, sur France 5, à François Busnel, l'un des plus grands connaisseurs de l'œuvre de ce géant de la littérature américaine. "Il a fallu que je me cogne la tête, le front, contre les murs, jusqu'à ce que le sang me coule sur le front pour passer à travers, racontait-il. Personne ne m'a jamais dit qu'il me suffisait de le contourner. 'Si tu suis le mur suffisamment loin, tu arrives au bout, il n'y a plus qu'à passer de l'autre côté.' Mais, il fallait que je fasse ce que j'avais besoin de faire à cette époque-là."

C'était un grand mur de décorum, de bienséance et tout le reste. Donc, il fallait s'y cogner le front. J'ai des cicatrices là, vous voulez voir ?

Philip Roth

Sur France 5

Chez Philip Roth, il y a aussi l'idée que la littérature et la fiction racontent mieux l'Amérique que les faits, que l'Histoire elle-même. La littérature permet d'accéder à une réalité de l'Amérique. C'est là que son œuvre devient fascinante pour un historien des États-Unis. Elle se compose de deux parties.

La première partie est rassemblée dans La Pléiade depuis octobre 2017. C'est l'un des rares auteurs à être entré vivant (il avait 84 ans) dans la plus prestigieuse collection des lettres françaises. Le volume contient cinq romans et nouvelles de jeunesse dont Goodbye, Columbus (1959), La plainte de Portnoy (1969) - le roman clé de son œuvre - et Professeur de désir (1977). Il se livre à une réflexion sur sa judéité, son judaïsme. Il ne supportait pas d'être considéré comme un écrivain juif, mais il était tellement "écrivain juif" que cela transpirait dans son œuvre. 

Titiller la mauvaise conscience américaine

La seconde partie commence dans les années 1990, lorsque Philip Roth se met à raconter l'autre histoire de l'Amérique. L'écrivain américain va regarder derrière ce mur de la bienséance, ce mur du roman national. Dans ses romans Pastorale américaine (1997), J'ai épousé un communiste (1998), La Tache (2000) et Le Complot contre l'Amérique (2004), il raconte l'Amérique qui a dévié de ses propres valeurs.

Avec J'ai épousé un communiste, il évoque la lutte contre le communisme, le maccarthysme, qui va à l'encontre de toutes les libertés individuelles aux États-Unis. Jeune homme, il a lui-même connu dans sa famille les conséquences du maccarthysme. C'est l'égarement américain. Dans Le Complot contre l'Amérique, il manie l'uchronie, un autre élément de littérature consistant à bâtir une fiction à partir d'un point de départ historique. Son histoire, c'est la défaite de Franklin Delano Roosevelt à l'élection présidentielle américaine de 1940 au profit de l'aviateur pro-nazi Charles Lindbergh. Cela lui permet de raconter une Amérique raciste et antisémite, mais aussi de lever le voile sur cette mauvaise conscience américaine qu'il n'a cessé de titiller. La littérature a été, pour lui, le moyen d'accéder à cette vérité américaine. 

Donald Trump, le "fanfaron"

Philip Roth aurait pu s'inspirer de Donald Trump, mais il a mis fin à son œuvre en 2012. Dans un entretien accordé à Libération en septembre 2017, l'écrivain estimait que l'actuel président américain souffrait "de narcissisme aigu" et qu'il était "un menteur compulsif, un ignorant, un fanfaron, un être abject". Il aurait pu écrire sur Donald Trump. Dans Tricard Dixon et ses copains (1972), il raconte que Nixon veut être élu "Prince des Ténèbres" en lieu et place de Satan. Il imagine son discours de campagne depuis l'enfer : "À vrai dire, en dépit de mon bref passage à la Maison Blanche, je crois fermement que j'ai pu maintenir et renforcer tout ce qu'il y avait de mauvais dans la vie américaine lorsque je suis arrivé au pouvoir."

De plus, je crois pouvoir dire avec certitude que j'ai préparé le terrain pour de nouvelles oppressions et de nouvelles injustices, et que j'ai semé la discorde et la haine entre les races, les générations et les classes sociales et qu'elles accableront sans doute le peuple américain, pour des années à venir.

Extrait de "Tricard Dixon et ses copains", de Philip Roth

"Je n'ai certainement rien fait pour diminuer l'éventualité d'un holocauste nucléaire mais, au contraire, j'ai continué dans cette voie en poursuivant une politique de belligérance, d'agression et de subversion sur tout le globe", conclut Nixon dans ce discours fictif.

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