Quand le débat politique devient une joute chorégraphiée
Quand Valérie Pécresse voit dans la longue interview d’Emmanuel Macron mercredi sur TF1 une rupture d’égalité de temps de parole, l’affaire tient moins du débat politique que de la reconstitution historique.
Valérie Pécresse a saisi le CSA pour protester contre la longue interview d’Emmanuel Macron diffusée demain soir sur TF1. Elle estime qu’il s’agit d’une rupture de l’égalité de temps de parole. Pourtant, toute cette histoire tient moins du débat politique que de la reconstitution historique. Expliquons-nous : cela a l’air étrange, mais accrochez-vous : à un moment donné, cette phrase prendra du sens. Valérie Pécresse a donc déclaré lundi 13 décembre "On ne peut pas avoir un président candidat qui se fait ouvrir les chaînes de télévision à la demande et pendant des heures fait sa campagne."
Mardi matin, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, lui a répondu sur franceinfo : "Je souhaite que le président de la République soit candidat le plus tard possible parce que nous avons besoin d'un président qui agisse. Aujourd'hui, nous sommes dans une période de crise/ Et de toutes les façons le sujet c’est les Français / Nous sommes totalement à notre tâche. Et la présidentielle, le temps viendra." Voyons ce que disait Valérie Pécresse, en janvier 2012 sur France Inter : "Aujourd'hui, nous sommes dans une période de crise et pour l'instant, le sujet, c'est les Français. Le sujet, c'est les Français, le chômage, la croissance, l'Europe. / Totalement à notre tâche / Et la présidentielle, le temps viendra."
La technique de l'objection "ad hominem"
A l’époque, Valérie Pécresse était elle-même porte-parole du gouvernement. Le Président Sarkozy venait de donner une grande interview télévisée, quelques mois à peine avant de se présenter à sa réélection. Elle se trouvait donc en situation de devoir répondre aux critiques qu’elle adresse elle-même aujourd’hui et c’est ce que Gabriel Attal ne se prive pas de lui rappeler. Alors, en termes techniques, on appelle cela une objection ad hominem : elle revient à attaquer la cohérence de la ligne de l’adversaire (à ne pas confondre avec l’objection ad personam, qui consiste à attaquer l’adversaire lui-même). Et un ad hominem bien placé… cela fait mal.
"A l'époque, souligne Gabriel Attal, elle défendait le fait, et je rejoins d'ailleurs sa défense, que le président de la République puisse s'exprimer dans un contexte de crise. Elle a la fébrilité comme moteur et l'hypocrisie comme carburant, parce que la réalité, c'est qu'elle dit aujourd'hui l'inverse de ce qu'elle disait à l'époque." Et voilà : vous avez ici les deux conséquences immédiates de l’objection ad hominem. La première, c’est qu’elle dégrade la crédibilité de celui ou celle qui le subit. La deuxième, c’est qu’elle fournit à celui ou celle qui l’utilise un argument inattaquable. C’est ce qui autorise Gabriel Attal à dire : "Comme le dit Valérie Pécresse, le Président en exercice est légitime à s’exprimer en période de crise."
Ceci est tout de même un exercice un peu convenu. D’ailleurs il y a un passage qu’il s’est bien gardé de citer. Valérie Pécresse : "C'est frustrant aussi pour nous, vous savez ! Moi, j'aimerais bien qu'on rentre dans la campagne présidentielle. J'aimerais bien pour pouvoir dire ce que je pense du projet de François Hollande."
"C'est plus un inconvénient qu'un avantage de ne pas être en campagne aujourd'hui pour nous. Parce que la réalité, c'est qu'on a moins la possibilité de répondre aux critiques."
Gabriel Attal
Comme c’est étrange : voilà donc deux porte-parole qui disent la même chose à dix ans d’écart ! Ils sont tous les deux frustrés de ne pas pouvoir librement répondre à leurs adversaires… Notons d’ailleurs qu’ils disent cela dans des interviews où, précisément, ils répondent à leurs adversaires, mais passons. Bref : en effet, tout ceci est désespérément convenu. Nous assistons, d’élection en élection, aux mêmes séquences écrites à l’avance d’attaques et de défenses.
Si bien que le débat politique finit par s’apparenter à ces reconstitutions de joutes chevaleresques, où des cascadeurs se livrent à une démonstration d’escrime chorégraphiée en poussant de grands cris rageurs, tout en sachant qu’ils ne courent aucun danger parce que leurs épées sont émoussées. Et pendant que nous nous divertissons devant ces simulacres d’affrontements herculéens, sans cesse rejoués, il y a une chose qu’hélas, nous perdons de vue : le véritable débat d’idée.
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