Michel Onfray : la rhétorique de l'outrance
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Tour à tour philosophe, enseignant, auteur, poète, polémiste, débatteur, directeur de revue… À quel titre parle donc Michel Onfray ? Cette question apparaît d'autant plus cruciale qu'il a conquis une place de choix dans l'espace médiatique. Pour savoir d'où il parle, donc, la méthode la plus simple c'est encore d'analyser comment il parle. Et, en l'occurrence, jeudi 30 septembre sur Europe 1, invité de Sonia Mabrouk, il a avancé des déclarations surprenantes.
Par exemple, pour relativiser la barbarie du régime des talibans. "Il y a encore quelques temps, je fais partie des garçons qui allaient à l'école de garçons et puis il y avait les écoles de filles, explique Michel Onfray. Et on a commencé par mélanger les garçons et les filles dans les classes. Donc quand on nous dit 'regardez-moi ça, les filles séparées des garçons, quelle barbarie', je dis 'oui, mais regardez en France, dans les années 60 c'était encore le cas'."
Michel Onfray : "Cette façon que nous, l'occident, nous avons d'aller bombarder les populations musulmanes partout sur la planète (...) on ne fait jamais le compte"#Europe1 pic.twitter.com/MktV4Jsky6
— Europe 1 (@Europe1) September 30, 2021
Alors, bien sûr, la comparaison est une saine opération de l'esprit. Elle aide à se décentrer, permet d'apporter d'autres éclairages et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Encore faut-il… que les choses comparées soient comparables ! En l'occurrence, Michel Onfray met sur le même plan la France des années 60, où le statut des femmes était certes très loin de l'égalité, avec l'Afghanistan des talibans, où les femmes étaient (et, hélas, risque d'être à nouveau) contraintes de porter la burqa, ne pouvaient ni étudier, ni travailler, et risquaient la mort par lapidation en cas d'adultère… On peut se demander si la relativisation est réellement fondée ! En rhétorique, ce type de comparaison outrancière relève du sophisme, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un argument fallacieux, visant à faire accepter comme évident un raisonnement discutable.
Fake news
Et l'outrance, c'est ce qui caractérise la rhétorique de Michel Onfray, comme lorsqu'il parle de l'Occident. "Il est décadent, estime-t-il, je pense qu'effectivement il y a un tas de gens qui nous disent que si vous pensez que la civilisation aujourd'hui, c'est la possibilité de louer des utérus ou de vendre ou d'acheter des enfants, nous on n'est pas forcément d'accord avec ça. Ou l'idée qu'à neuf mois, pour des raisons de convenance personnelle, vous puissiez avorter, je comprends les gens qui critiquent l'Occident."
Alors, vous voyez que ces trois exemples reviennent à deux reprises, à chaque fois avec les mêmes termes et dans le même ordre : preuve qu'il ne s'agit pas d'une énumération hasardeuse, mais bien d'une stratégie rhétorique fondée, en l'espèce, sur une présentation outrancière de la réalité. Louer des utérus, vendre ou acheter des enfants : c'est une manière brutale d'évoquer la gestation pour autrui, qui est effectivement assortie de compensations financières dans certains pays, mais il n'en a jamais été question en France.
Et en ce qui concerne l'avortement de convenance jusqu'à neuf mois, c'est tout simplement une fake news ! Michel Onfray l'avait déjà mise en avant en mars dernier, dénoncée par de nombreux services de fact checking, dont la cellule Vrai du Faux de franceinfo.
Sa stratégie : l'outrance volontaire
De l'outrance volontaire dans la présentation des faits, qui possède un objectif clair : choquer, provoquer une émotion de dégoût, et induire une réaction instinctive de rejet de ce qu'il entend dénoncer. D'ailleurs, c'est une stratégie courante pour Michel Onfray.
"Le droit d'ingérence, c'est toujours fait au nom des droits de l'Homme sous prétexte que il vaut mieux vivre comme Bernard Henry-Levy à Saint-Germain-des-Prés, juge Michel Onfray. Il incarne vraiment ça. On a entendu l'autre jour qu'il avait touché un chèque de 9 milliards... de 9 millions, je ne sais plus, il a tellement d'argent, du Qatar. Normalement, ce genre d'informations, ça devrait faire la une de la totalité des journaux."
Michel Onfray : Bernard Henry-Lévy "défend une idéologie qui a besoin du complexe militaro-industriel (...) Ces gens qui se choisissent de petits ennemis faciles à terrasser en disant qu'ils sont grands, on est loin de l'héroïsme "#Europe1 pic.twitter.com/UeEEbNdtIM
— Europe 1 (@Europe1) September 30, 2021
Michel Onfray fait ici référence à une affaire révélée par Blast, selon qui Bernard Henry-Levy aurait touché 9 millions d'euros entre 2009 et 2011 en échange de son soutien. Mais vous avez entendu cette petite hésitation, entre 9 millions et 9 milliards : ce n'est tout de même pas exactement la même chose. On a une confusion volontaire dans la présentation des faits, afin de créer de l'outrance, et d'accentuer la disqualification de son adversaire.
Pour le coup, on pourrait penser qu'il s'agit d'une authentique erreur de sa part ! Pourquoi conclure systématiquement à la malice ? Parce que c'est ainsi que procède Michel Onfray ! Lorsqu'il évoque son meilleur adversaire, Éric Zemmour, il affirme : "Moi je pense qu'Éric Zemmour se trompe en... Je ne vais pas le traiter d'imbécile, j'ai de la sympathie pour lui mais, quand on lui montre la lune, il regarde le doigt." Ce qui est, selon le célèbre dicton, la définition même… d'un imbécile ! Ici, non seulement l'attaque est outrancière, mais Michel Onfray la dissimule de surcroît avec un stratagème très classique : la prétérition, qui consiste à énoncer un argument tout en faisant mine d'y renoncer. Ce qui permet évidemment de porter un coup, tout en faisant mine d'être magnanime.
Derrière ses abords doctes et son ton calme, Michel Onfray mobilise à foison l'outrance et la dissimulation. Ce sont deux ressorts classiques de la rhétorique pamphlétaire et polémique. Alors, je ne sais pas quel statut il revendique aujourd'hui pour sa parole publique. Mais une chose est sûre : il me paraît difficile de continuer à prétendre qu'elle soit philosophique.
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