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Marine Le Pen sur l’IVG : l’art de l’esquive

Deux propositions de lois ont été déposées en France pour inscrire le droit à l'avortement dans la constitution, depuis qu'aux États-Unis la Cour suprêmel 'a révoqué. Une question qui place le Rassemblement national dans l'embarras. 

Article rédigé par franceinfo
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Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire RN, après une rencontre avec la Première ministre à Matignon. Paris, le 29 juin 2022. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Embarras : c’est un bel euphémisme pour évoquer les circonvolutions des porte-paroles du Rassemblement national sur cette question du doit à l'IVG et son inscription dans la Constitution, puisqu’ils refusent de voter le texte… tout en ne se positionnant pas, explicitement, contre l’interruption volontaire de grossesse. Une position paradoxale que Marine Le Pen a essayé de clarifier, mercredi 29 juin sur franceinfo. "Le droit d'accès à l'IVG n'est remis en cause par personne, affirme Marine Le Pen. Moi je veux bien que parce qu'un autre pays le remet en cause il faille l'inscrire dans notre Constitution, mais est-ce qu'on va inscrire dans notre Constitution qu'on n'a pas le droit de lapider les femmes parce qu'en Afghanistan, ils ont droit de le faire."

Dénégation... interprétation 

Il y a beaucoup à dire sur cet argument. Déjà, mettre sur le même plan les États-Unis, qui sont une démocratie libérale, et l’Afghanistan qui est une théocratie autoritaire, c’est bien sûr totalement fallacieux. Les deux situations sont incomparables. Mais surtout, le cœur de la position défendue par Marine Le Pen, ce serait que "personne" ne veut remettre en cause le droit à l’IVG en France. C’est la première des stratégies d’esquive : la dénégation. Est-elle factuellement fondée ? Réponse : non. Parmi les députés Rassemblement national, on trouve notamment Christophe Bentz, Caroline Parmentier et Hervé de Lépinau, qui ont tous trois comparé l’avortement à un génocide. Quant à Laure Lavalette, députée et porte-parole du Rassemblement national, elle a signé en 2014 la charte publique de l’association "Choisir la vie", dans laquelle elle s’engageait à lutter pour abroger, à terme la loi sur l’avortement.  

Marine Le Pen est donc prise en flagrant délit de mensonge mais ça ne fait rien. Quand la dénégation échoue, il reste une autre stratégie : l’interprétation. On en dit plus "c’est pas vrai", mais… "c’est pas vraiment ça". "Il y a un mouvement politique, reprend Marine Le Pen. Ce mouvement politique détermine une ligne politique qui est votée par les adhérents. C'est moi qui la porte depuis 10 ans. En l'espèce la ligne du mouvement est très claire. Nous n'avons jamais remis en cause, l'accès à l'IVG." 

Donc, oui, des élus RN se sont bien opposés à l’avortement, mais cela a été mal interprété. Ce qui compte, ce ne seraient pas les opinions des députés, mais la ligne du mouvement. Et cette ligne est claire : ils n’ont jamais remis en cause l’accès à l’IVG. Non pas le droit, mais plus largement encore : l’accès. Alors, est-ce vrai ? Voilà ce que disait Marine Le Pen, en mars 2012, sur franceinfo : "L'avortement de confort qui est un terme qui a scandalisé tout le monde, qui est pourtant un terme utilisé par des médecins, semble se multiplier. Il y avait une femme sur 10 il y a 10 ans, il y en a deux sur 10 aujourd'hui qui se servent de l'avortement comme un véritable moyen contraceptif. Il y a des abus aujourd'hui. Dérembourser des abus alors même qu'un tiers de la population française ne peut pas se soigner correctement parce qu'on ne cesse de dérembourser, je pense que là à un moment donné, il faut dire stop."

Les "avortements de confort" évoqués par Marine Le Pen

Marine Le Pen voulait dérembourser les "abus ", les "avortements de confort", c’est-à-dire : remettre en cause non pas le droit, mais l’accès à l’IVG. Donc, si contrairement à ce qu’elle affirme, un parti a bien cherché à remettre en cause la loi sur l’avortement : le sien. La proposition de l’inscrire dans la Constitution est donc totalement d’actualité, et on comprend mieux pourquoi son groupe a bien du mal à se positionner.  

Néanmoins dans la stratégie d’esquive. Après la dénégation et l’interprétation, il reste encore la relativisation. Quand on ne peut plus dire "c’est pas vrai" ni "c’est pas vraiment ça", il reste encore le dernier refuge : "c’est pas vraiment grave".  "La réalité, conclut Marine Le Pen, c'est que En Marche effectue une diversion politique car il ne veut pas que le focus soit mis sur les préoccupations principales des Français aujourd'hui et leurs difficultés que sont le pouvoir d'achat, la sécurité, l'immigration hors contrôle." 

Donc, oui, le Rassemblement national a bien du mal à prendre position sur l’avortement. Mais ce ne serait pas ça le plus grave ! Le plus grave, ce serait que le gouvernement essaierait de faire diversion des véritables problèmes, qu’il serait incapable de résoudre. Alors, est-ce convaincant ? Peut-être, chacun se fera sa propre opinion. En revanche, une chose est sûre : sur la question du droit à l’IVG, Marine Le Pen ne cesse d’esquiver. S’agissant d’un droit fondamental qui est actuellement remis en cause de l’autre côté de l’Atlantique, et d’un parti qui possède, à l’Assemblée, le premier groupe d’opposition… c’est une ambiguïté qui, je crois, en dit long.

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