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Jean-Luc Mélenchon : le nouveau vote utile ?

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à la présidentielle sur France 2, le 10 février. (THOMAS COEX / AFP)

Revenons sur une expression traditionnelle des campagne électorales : le "vote utile". Une manière d’appeler les électeurs, et singulièrement les électeurs de gauche, à voter stratégiquement pour le candidat le mieux placer pour accéder au second tour. Sauf que cette fois-ci, pour la première fois, le vote utile pourrait être… Jean-Luc Mélenchon. Du moins si l’on en croit Ségolène Royal, qui a estimé sur BFMTV mercredi qu’il était, parmi d’autres compliments, "le plus solide". Une véritable couronne de lauriers pour Jean-Luc Mélenchon, qui est manifestement paré de toute les qualités, et serait donc, désormais, le nouvel avatar du vote utile.

Le "vote utile" est vraiment né sous Jospin

Cette déclaration a-t-elle pour autant réellement du poids dans le débat politique ? Probablement. Pour le comprendre, il faut remonter aux racines de cette expression. Avant l’élection présidentielle de 2002, elle n’est presque pas employée : 39 utilisations seulement dans la presse entre septembre 2001 et avril 2002, selon les calculs du chercheur Mathias Reymond. Et puis, le séisme que l’on sait : pénalisé par une dispersion des votes entre les différents candidats de gauche, Lionel Jospin est éliminé dès le premier tour de la présidentiel. C’est à la suite de cet événement que le "vote utile" devient un élément central de débat politique : plus de 1 000 occurrences dans la presse durant les campagnes de 2007 et 2012, et jusque 1 500 durant celle de 2017.

L’expression est presque exclusivement mobilisée pour analyser le vote de gauche. Traditionnellement, les candidatures à droites sont moins nombreuses, les électeurs moins fragmentés, et le vote stratégique a donc moins de sens. A gauche, en revanche, où le traumatisme de 2002 reste vivace et les candidats pléthoriques, il joue à plein… et toujours en faveur de la sociale-démocratie.

En 2007 et 2012, c’est Ségolène Royal puis François Hollande qui s’en revendiquent, pour faire barrage au Front National. Et en 2017, à mesure que Benoit Hamon plongeait dans les sondages, c’est Emmanuel Macron qui s’était progressivement imposé comme le vote le plus rationnel pour s’assurer que "la gauche", ou ce qui était à l’époque perçu comme tel, ne soit pas éliminée dès le premier tour. A contrario, Jean-Luc Mélenchon n’a cessé de fulminer contre les appels au vote utile, qu’il qualifiait de "camisole de force" en 2012. Voilà pourquoi il n’est pas anodin que Ségolène Royal, figure de la sociale démocratie, ancienne candidate à la présidentielle ayant elle-même été assimilée au vote utile, emploie désormais cette expression pour qualifier le candidat France insoumise.

Le "vote efficace" n’a pas la même puissance de mobilisation

Jean-Luc Mélenchon n’appelle pas pour autant désormais au vote utile en sa faveur : il serait difficile de le faire sans se déjuger. Depuis plusieurs semaines, la France insoumise, en tête dans les sondages à gauche, revendiquait à son profit un "vote efficace". C’était, bien sûr, une simple stratégie rhétorique de substitution, pour éviter d’être pris en flagrant délit de contradiction. Mais ce qui est intéressant, c’est que cette substitution a un prix : le "vote efficace", qui est une invention récente, ne possède pas la même puissance de mobilisation que celle dont bénéficie le « vote utile », à tout le moins dans l’esprit d’une partie des électeurs et électrices de gauche.

Faut-il y voir un tournant dans la campagne ? N’exagérons rien : pour l’instant, il reste autour de 10% dans les sondages. Mais si d’autres analystes emboîtent le pas à Ségolène Royal, et si Jean-Luc Mélenchon parvient effectivement à s’imposer comme la nouvelle incarnation du vote utile à gauche, cela pourrait être un tournant. Ainsi va la rhétorique : certains mots portent en eux de telles évocations qu’ils en viennent effectivement à conférer du pouvoir à celui qui parvient à invoquer.

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