Cet article date de plus de deux ans.

Fabien Roussel : le communisme gastronomique ?

Le candidat du Parti communiste bénéficie actuellement d’une petite embellie dans les sondages. Serait-ce dû à une évolution de sa rhétorique ?

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Fabien Roussel en meeting à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 6 février 2022 (FRANCE 3)

Il semblerait bien qu’il y ait un moment Roussel ! Au-delà même des sondages, le candidat du Parti communiste est indéniablement visible dans le débat public, alors que nombre de ses concurrents à gauche peinent à se faire entendre. Et en effet, cette dynamique va de pair avec une évolution assez nette de sa rhétorique. Il était mardi 15 février l’invité de France Inter et, premier changement notable, il y a un mot qu’il semble désormais fuir comme la peste : celui de communiste.

"Je suis le candidat de la France des jours heureux, présenté et soutenu par ma formation politique mais aussi soutenu par des dizaines de milliers de personnes d'horizons divers, sans étiquette politique. Je souhaite présenter mon programme à la France et incarner une France populaire, généreuse,solidaire."

>> À lire aussi : le portrait rhétorique de Fabien Roussel

Fabien Roussel met en avant le nom de son programme, "La France des jours heureux", il revendique d’être soutenu par des milliers de personnes sans étiquette politique, et au milieu de tout cela, du bout des lèvres seulement, il parle de "[sa] formation politique", sans la nommer.

C’est clairement une stratégie. Le problème du mot "communiste", c’est qu’il est connoté de manière péjorative. Dans l’imaginaire collectif, il renvoie encore, à tort ou à raison, au régime soviétique et à ses crimes. Dans une telle situation, il y a deux stratégies rhétoriques possibles. La première, c’est la redéfinition : elle consiste à se battre sur le mot, pour le vider progessivement de ses connotations négatives. Le problème d’une telle stratégie, c’est qu’elle demande du temps. Fabien Roussel a donc choisi l’autre option : la substitution, qui consiste à abandonner le mot incriminé en rase campagne, pour lui en préférer d’autres, aux connotations plus neutres.

Une France "populaire, généreuse et solidaire"

C’est un vocabulaire habituel, pour un candidat communiste. Ce sont des mots totem de la gauche. Mais ce qui frappe, chez lui, c’est la place qu’ils prennent dans son discours : "Je veux des réformes heureuses. Je veux croire au bonheur, parce que c'est possible. C'est la justice sociale, la justice fiscale, le sens du partage et de la solidarité, c'est le droit au beau, au bon et au propre. C'est le cœur de mon combat : défendre la France qui travaille, la France de la bonne paye, la France de la dignité."

C'est beau, et je pense qu’absolument tout le monde souscrira. Ce qui pose évidemment un problème puisque, dans le champ politique, les seuls discours avec lesquels tout le monde peut être d’accord sont ceux qui ne disent rien à personne !

Fabien Roussel se contente de jongler avec un chapelet de concepts mobilisateurs, ces mots creux, vides de sens, qui n’ont d’autre objectif que celui de mobiliser l’enthousiasme des auditeurs. On voit ici que le travail de substitution opéré va plus loin que sur le seul mot "communiste" : c’est l’ensemble des marqueurs idéologiques révolutionnaires et même anticapitalistes qu’il a expurgés de son discours.

Rhétorique classique de gauche

À force de substitutions, le discours finit par manquer de singularité : il est désormais sur une rhétorique classique de gauche. Mais justement, Fabien Roussel en a trouvé une, avec son bon vin, sa bonne viande et, même, sa "bonne baguette" "Quand on donne 200 ou 300 euros de plus à un citoyen, un salarié ou un retraité, il ne va pas le mettre dans les paradis fiscaux, lui ! Il va servir le pays, il va aller dépenser son argent dans une bonne baguette, dans un bon resto, dans une expo... J'en ai marre d'une gauche qui vous culpabilise quand vous prenez la voiture, l'avion, quand vous mangez de la viande."

L'origine de cette expression, c’était une saillie de Fabien Roussel lors de l’émission Dimanche en Politique, sur France 3 en janvier dernier, dans laquelle il revendiquait de vouloir rendre accessibles "le bon vin, la bonne viande, le bon fromage". C’est depuis devenu sa signature rhétorique, il l’évoque dans chaque interview… et c’est plutôt habile. Cela lui permet de se distinguer d’une partie de la gauche, qui plaide pour une alimentation moins carnée et songe à nos concitoyens qui ne boivent pas d’alcool, tout en parlant aux électeurs populaire qui, justement, ne se retrouvent pas dans ces discours.

Reste, bien sûr, cette question centrale : remplacer la lutte des classes par l’éloge de la bonne bouffe, c’est peut-être efficace rhétoriquement… mais est-ce encore du communisme ?

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.