Entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national, une ambiguë clarté
En début de semaine, plusieurs élus ou membres du gouvernement avaient semblé ouvert à l’idée d’aller chercher des voix du côté du Rassemblement national pour dégager des majorités. Depuis, la position a été clarifiée par l'exécutif, mais l'est-elle vraiment ?
N'étant pas parvenus à obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale au sortir des législatives, certains membres de l'exécutif ont ouvert la porte à un rapprochement avec le Rassemblement national pour faire pencher la balance... Dans le même temps, d'autres ont tenté de lever l'ambiguité. Sans grand succès. On peut parler de clarté ambiguë en effet, et peut-être même d’une ambiguïté très claire.
Entre accords et désaccords
Retour en arrière : tout a commencé au soir du second tour des législatives, quand Éric Dupond-Moretti a évoqué la possibilité "d’avancer", ce sont ses termes, avec le Rassemblement national. Ses propos étaient, il est vrai, très implicites. Mais dès le lendemain, dans l’émission C Ce Soir, sur France 5, la député Renaissance (ex-LREM) Céline Calvez ne laissait, elle, place à aucun doute. "Comme le disait Olivia Grégoire, quand on a besoin d’une majorité et si c’est bon pour les Français, on va aller chercher ces voix-là." Cette déclaration a, bien sûr, connu un retentissement considérable : quelques semaines après avoir appelé à faire barrage à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, voilà donc la majorité d’Emmanuel Macron qui envisage de gouverner avec les voix du Rassemblement national.
Depuis, cette position a été considérablement amendée. Céline Calvez elle-même est revenue sur ses propos, avant que le secrétaire d’État Clément Beaune, ce mercredi, sur Europe 1, ne vienne lever toute ambigüité. "Le Rassemblement national, je respecte parce que c’est la démocratie. En revanche, je dis 'nous ne sommes pas d’accord'. Je ne partage pas leur projet politique."
Je pense qu’avec le RN il n’y a pas ce socle d’idées communes. Nous n’irons pas chercher un accord politique avec le RN. Il ne peut pas y avoir une alliance, même de circonstance, avec le Rassemblement national.
Clément Beaune, secrétaire d’ÉtatEurope 1
Voilà, vous l’entendez : par quatre fois, le secrétaire d’État exclut, fermement, toute alliance avec le parti de Marine Le Pen. La question est donc close ? Eh bien non, pas tout à fait.
Le RN et LFI renvoyés dos à dos
Parce que, en parallèle, deux autres membres du gouvernement, Olivier Véran et Olivia Grégoire, se sont exprimés, sur BFMTV et franceinfo. Ils reprennent la doctrine énoncée par Clément Beaune. Mais en lui ajoutant une petite précision supplémentaire :
Faire le calcul par anticipation que grâce au RN nous passerions un texte et que nous ne passerions pas sans eux, c’est non. Nous ne le ferons d'ailleurs pas non plus avec LFI, ni l’extrême gauche, ni l’extrême droite. Nous sommes dans l’arc républicain.
Olivier Véran, Ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement françaisBFMTV
"Il n’y a pas à une seule seconde, à un seul moment, l’idée d’aller chercher des accords avec le RN", appuie Olivia Grégoire. "Et avec la France insoumise ?" interroge la journaliste. "C’est la même chose", tranche la porte-parole du gouvernement.
Vous l’avez entendu : il n’est pas envisageable de travailler avec le Rassemblement national, pas plus qu’avec la France insoumise. Les deux partis sont rejetés l’un et l’autre en dehors de "l’arc républicain". Et c’est, au fond, cohérent avec la position de fond déployée par le gouvernement depuis des semaines. Souvenez-vous de la phrase d’Emmanuel Macron avant le second tour : "Dimanche, aucune voix ne doit manquer à la République", arguait-il en parlant des députés du bloc présidentiel. Pour Emmanuel Macron, le Rassemblement national doit être combattu, mais pas davantage que les autres partis d’opposition. Et peut-être même : moins que les autres partis d’opposition.
Dans les colonnes du Figaro, Éric Woerth, député rallié à Emmanuel Macron, redoute que la France insoumise puisse s’emparer de la présidence de la Commission des Finances : "les Insoumis ont visiblement en tête de faire du contrôle fiscal. Ce que je n'ai pas entendu au RN." Il y aurait donc une véritable normalisation du Rassemblement national ? Il me semble que oui, et d’ailleurs, la dernière étape nous vient peut-être du président de la République lui-même. Hier, dans son allocation, il n’a pas eu un commentaire sur le fait que 89 députés RN aient fait leur entrée à l’Assemblée.
Un coup d'arrêt définitif pour le front républicain ?
En revanche, il a dit ceci. "Parce que c’est mon rôle de garant des institutions j’ai échangé hier et aujourd’hui avec l’ensemble des formations politiques qui sont en capacité de constituer un groupe à l’Assemblée nationale. Tous ont fait part de leur respect aux institutions et de leur volonté d’éviter un blocage des institutions de notre pays. Je salue cet esprit de responsabilités et je souhaite qu’il s’inscrive dans la durée." Emmanuel Macron considère donc très explicitement et très officiellement le Rassemblement national comme un parti normalisé, ordinaire.
Alors, je n’émets aucun jugement de valeur : certains s’en réjouiront, d’autres le déploreront. Je me contenterais de faire deux observations. Tout d’abord : le grand gagnant de cette évolution, est clairement le Rassemblement national. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais Marine Le Pen, qui a déclaré dans Le Monde, à propos de son entretien avec le président de la République : "Je me bats depuis vingt ans pour ça. Je me réjouis qu’on rende enfin justice au mouvement que je préside".
La deuxième observation : à partir du moment où une grande partie des oppositions sont renvoyées indistinctement en dehors de la République, il va devenir plus difficile, désormais, d’en appeler au front républicain. Je suis curieux de voir quelles conséquences cela aura lors des prochaines élections.
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