À gauche : la primaire illusoire ?
Anne Hidalgo appelle à organiser une primaire afin de rassembler les différentes candidatures à gauche. Les nombreux refus posent un dilemme rhétorique intéressant à ses concurrents.
Anne Hidalgo propose d’organiser une primaire afin de rassembler les différentes candidatures à gauche. Pour l’instant, elle a essuyé refus sur refus. Ce qui n’est pas sans poser un dilemme rhétorique intéressant à ses concurrents : comment faire pour justifier de ne pas participer au rassemblement, tout en admettant qu’être rassemblés est la seule manière de gagner ? Ce n’est pas le moindre des dilemmes : la pression s’accentue notamment sur Yannick Jadot, dont les proximités programmatiques avec Anne Hidalgo sont assez nettes, et Fabien Roussel, candidat pour un parti communiste qui avait toujours accepté de se rallier à Jean-Luc Mélenchon. L’un et l’autre ont été amenés à se justifier mardi soir : le premier sur BFMTV, le second sur France 2. Et, étonnamment, leurs discours se ressemblent…
Quelques éléments mettent la puce à l'oreille
Voyons ce que dit le premier : "J'entends les interrogations, les appels au rassemblement/ Le pacte que nous proposons, il est ouvert à tous les démocrates, à tous les progressistes / Ce que je souhaite, c'est construire un rassemblement populaire." Et ce que dit le second : "Moi, depuis le début, je travaille au rassemblement / Je veux rassembler les progressistes, les humanistes, les socialistes / Je veux travailler avec les socialistes et tous les progressistes."
A priori, tout est formidable. Mais quelques éléments de discours mettent la puce à l’oreille. D’une part, ces phrases saturées par deux mots : "moi" et "je". Dans la mesure où l’on parle d’appel à l’union, dès le départ, cela sent un peu le roussis. Et surtout : ces phrases pivotent toutes autour de verbes exprimant l’intention : je veux, je souhaite, il faut, nous devons. En rhétorique, ce sont des outils très pratiques, parce qu’ils permettent précisément de faire de grandes déclarations d’intention… sans jamais s’engager sur des conditions de réalisation. Parce que, dire ce que l’on veut faire, c’est bien. Mais si l’on n’indique pas comment on compte s’y prendre, cela ne porte aucunement à conséquence.
L’union, oui, mais derrière moi
Comment comptent-ils s’y prendre ? C’est très simple ! "Le choix est de présenter notre projet aux Français", dit l’un. "Il n'y a pas l'option qu'une candidature écologiste se retire de l'élection présidentielle", souligne l’autre. C’est donc très clair : les deux veulent bien faire l’union, mais à la condition que cela n’implique pas de retirer leur candidature. L’union, oui, mais derrière moi…
Qu’en est-il d’Anne Hidalgo ? La maire de Paris a fait des propositions concrètes. Elle s’en est d’ailleurs expliquée dans son meeting de dimanche, à Perpignan : "J'ai pris ma responsabilité : j'ai proposé publiquement, sincèrement, le seul chemin qui permette de se rassembler aujourd'hui. Celui de la primaire avant le premier tour, et c'est d'abord parce que je porte ce rêve que j'ai pris aussi la décision d'agir pour sortir du cauchemar qui nous guette."
Elle porte un rêve, qui la pousse à agir, pour sortir du cauchemar qui nous guette. Mais elle dit aussi quelque chose d’intéressant : "J’ai proposé publiquement le seul chemin qui permette de nous rassembler : celui de la primaire." Au fond, elle nous dit : "C’est soit la primaire, soit le néant." C’est oublier un peu vite un autre chemin possible, qu’elle passe totalement sous silence : celui qui aurait consisté à retirer sa candidature, pour se ranger derrière Yannick Jadot. Je ne sais pas si c’est ce qu’il faudrait faire, mais ce serait possible en tout cas : on nage en plein procédé fallacieux, en l’occurrence le sophisme du faux dilemme.
Doit-on en conclure que l’union est impossible ? Des concessions sont toujours possibles, chez les uns ou les autres. Mais c’est précisément ce qu’il faudrait être prêt à faire : des concessions. Parce que, une négociation dans laquelle aucune partie n’accepte de renoncer à quoi que ce soit, cela porte un nom : cela s’appelle un conflit. Et une chose est sûre : du point de vue de la dynamique de campagne, mieux vaux quatre candidats dans leurs couloirs, qui s’appliquent à convaincre, que quatre interlocuteurs qui perdent leur temps à ne pas s’entendre.
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